Article réalisé à partir d’une clé Playstation 4 fournie par l’éditeur.
On ne présente plus Gyakuten Saiban (qu’on pourrait traduire par “retournement de situation au procès”), intitulée Ace Attorney chez nous, la fameuse série de “simulation d’avocat” (grosses guillemets. Très grosses.) signée Shu Takumi et éditée par Capcom. Il faut dire qu’elle en a parcouru, du chemin, depuis ses débuts, sur Gameboy Advance en 2001, cantonnés au Japon. Aujourd’hui, les choses ont bien changé, puisque la franchise a désormais fait sauter ses propres verrous psychiques, et se voit disponible sur tous les supports, mobile inclus. Avec les sorties récentes de trois compilations, embarquant les deux trilogies principales et le diptyque Great Ace Attorney, le génial spin-off victorien, toute la série semblait désormais avoir profité de la vague de réactualisation. Toute ? Non, puisque deux irréductibles épisodes n’avaient pas encore été passés à la moulinette HD. C’est maintenant chose faite, avec la localisation de la compilation Ace Attorney Investigations Collection, dont le premier épisode a bien été distribué chez nous sur DS en 2010, uniquement en anglais, tandis que le second est resté bloqué au pays du soleil levant depuis 2011. L’heure a donc sonné pour une localisation en bonne et due forme des derniers chaînons manquants, mettant en scène Benjamin Hunter / Miles Edgeworth, le procureur aux sourcils les plus froncés de toute la côte Est. Les criminels (et le salaire de Dick Tektiv) n’ont qu’à bien se tenir.
Rick Benjamin Hunter
Si la franchise nous a le plus souvent fait endosser le costume d’un avocat à la défense, Ace Attorney Investigations Collection fait passer le joueur de l’autre côté de la barrière en lui faisant enfiler le jabot du procureur Benjamin Hunter, premier rival et ami de Phoenix Wright. Un changement de ton assez drastique, compte tenu de la verve aiguisée du personnage et de sa confiance en lui, inversement proportionnelle à celle de Nick. Temporellement située quelques mois après la première trilogie cette compilation assume pleinement son statut de spin-off et campe un récit en marge de la saga. Le premier épisode lance Benjamin Hunter, tout juste revenu d’un voyage à l’étranger, sur les traces d’un cercle de contrebande d’art et d’un voleur légendaire. Le second, quant à lui, l’envoie enquêter sur la tentative d’assassinat ratée du président de la république fictive de Zheng-Fa, qui s’avère rapidement n’être que le point de départ d’un véritable sac de noeud d’intrigues et de conspirations étendant ses ramifications jusqu’au passé de notre procureur préféré. Que les nouveaux venus se rassurent : si ces deux épisodes contiennent de nombreux clins d’œil qui raviront les fans, les différentes intrigues forment un ensemble qui met un point d’honneur à tenir debout sur ses propres jambes, constituant une porte d’entrée dans la franchise tout à fait recommandable.
Gyakuten Saiban, mais sans Saiban
Quiconque a déjà lancé plus d’un épisode de la saga le confirmera : depuis sa création, chaque épisode repose sur une structure qui n’a pour ainsi dire jamais évolué, se contenant systématiquement d’apporter quelques petites touches de nouveauté au travers de nouvelles mécaniques, plus souvent de l’ordre du gimmick que de la volte-face radicale. Ace Attorney Investigations Collection n’échappe pas à cette règle immuable. On retrouve donc la classique alternance des phases d’enquêtes, où le joueur doit récolter des indices et des pièces à conviction, et d’interrogatoires, durant lesquels il s’agit de percer à jour les mensonges et contradictions des témoins à l’aide des preuves récoltées. Pour autant, cette nouvelle compilation procède de manière un peu différente sur certains aspects, en s’éloignant des canons de la franchise, tout en conservant ce qui en fait le sel. L’aspect le plus notable étant la disparition pure et simple des séquences au tribunal, ainsi que la très nette emphase sur l’aspect enquête. Marqueur visuel immédiatement identifiable, les phases d’investigation abandonnent leur représentation à la première personne, et laissent Benjamin Hunter et sa clique, modélisés en 2D, arpenter les scènes de crime “librement” en vue de profil. Que les fans se rassurent, les joutes verbales si chères à la saga sont bien de la partie. Elles ont juste lieu à la volée, directement durant l’enquête et interviennent à la fois plus régulièrement et plus brièvement. On apprécie l’impact sur le rythme de l’aventure qui s’avère globalement mieux calibrée et un peu plus mesurée sur ses tunnels narratifs.
Inspecteur Gadget
En plus de ce ravalement de façade, et dans le plus pur esprit de la série, Ace Attorney Investigations n’oublie pas d’apporter son propre grain de sel côté gimmicks. Parce qu’après tout, la particule Investigations n’est pas là que pour la forme, Benjamin Hunter ne bénéficie pas de la sacro-sainte assistance du plot lorsqu’il s’agit de démêler les divers mystères auxquels il est confronté. En plus des pièces à conviction, le procureur découvre des pistes de réflexion directement sur le terrain. Pas d’ésotérisme pour les pragmatiques, il faut faire appel à la Logique pour les relier par paires, ce qui découle sur la contextualisation de certaines déclarations et pièces à convictions inexploitables au moment de leur découverte. Le premier épisode introduit également les reconstitutions de scènes de crime, à l’aide d’un gadget futuriste de la nouvelle assistante (autoproclamée) de Benjamin. Modélisées à l’aide des données récoltées, ces simulations consistent à confronter les éléments à disposition avec la réalité du terrain pour mieux identifier les contradictions. Le second épisode, de son côté, injecte une double dose de joute verbale au travers de l’Echiquier Mental, qui consiste à analyser le comportement des témoins et de s’y adapter pour mieux les prendre à revers et leur soutirer des informations cruciales. Sans détourner la formule de ses fondamentaux, ces nouvelles séquences ont le bon goût d’intervenir de façon suffisamment intelligente et régulière pour faire illusion et apporter leurs bienfaits au rythme global des deux titres. Le changement, c’est toujours pas maintenant, mais le tour de passe passe s’avère suffisamment efficace pour faire illusion et apporter un peu de fraîcheur bienvenue.
“Press X to play”
S’il n’est pas un Visual Novel pure souche, et lorgne comme ses aînés du côté des Adventure Games Ace Attorney Investigations Collection reste un titre qui repose pour beaucoup sur la qualité de sa narration. Nul ne ne peut se soustraire à la Loi, d’autant plus que cette fois, Shu Takumi n’est pas de la partie. Fort heureusement, les inquiétudes s’avèrent rapidement balayées, et la qualité bien au rendez-vous. Si le premier épisode de la compilation s’avère tout de même en retrait, avec un fil rouge plus diffus, on reste un bon cran au-dessus du peu apprécié Apollo Justice. Et puis, c’est aussi parce qu’on le compare forcément avec le second, qui balance une sauce assez énervée et se propulse directement dans les plus hautes strates de la Tier List des épisodes de la franchise. La galerie de personnages, nouveaux venus comme vétérans, s’avère toujours aussi haute en couleurs et oscille entre le bon et le très bon. Mention spéciale à Prosecutor’s Gambit là encore, même si Investigations premier du nom n’a toujours pas à rougir. Il faut bien avouer que la refonte visuelle, dans la même veine que celle appliquée aux autres compilations, les met particulièrement en valeur. En tout cas presque tous. Et ce n’est pas la nouvelle localisation française, presque irréprochable, qui entache le travail de restauration. Un petit mot également sur la bande son toujours au diapason quand il s’agit d’électriser la tension dramatique. Enfin, ceux qui craignent la frustration de piétiner trop longtemps durant l’enquête seront ravis de pouvoir compter sur le retour de l’historique de conversation et du mode Histoire, qui déroule le fil narratif à la place du joueur. Au prix, bien sûr, des trophées qui restent verrouillés au terme de chaque chapitre.
Plot twist
Bien sûr, un article estampillé FWIW ne serait jamais vraiment complet sans son arc “vieux con qui râle”, abordons dans la joie et l’allégresse le paragraphe des sujets qui fâchent. On n’est pas tous câblés pareil, et si les qualités d’Ace Attorney Investigations Collection en matière de roman visuel ne sont plus à prouver, ce n’est toujours pas un titre qui conviendra à ceux qui n’apprécient pas les plaisirs simples de s’engouffrer dans des tunnels narratifs (uniquement textuels, qui plus est) largement plus denses que la moyenne. Et tout le monde n’a pas le temps ou l’envie de se lancer dans deux titres capables d’engloutir facilement 70 heures de leur vie. Côté direction artistique, si l’immense majorité du casting voit sa refonte visuelle réussie, quelques approches moins heureuses sont à noter, avec un petit effet Paint qui détonne un peu avec l’ensemble. Autre point, si le gimmick de l’Echiquier Mental permet de rompre efficacement avec la monotonie, il s’avère finalement moins fourni en embranchements à explorer qu’espéré. C’est très sympa, mais ça aurait pu aller un peu plus loin. Enfin, rien ne ressemble plus à un Ace Attorney qu’un autre Ace Attorney, on n’évite donc pas les habituels écueils de la franchise, avec quelques placements de preuves parfois litigieux, où le joueur a la bonne logique, mais ramasse une pénalité parce qu’il fallait présenter la même preuve, mais sur une autre phrase globalement similaire. Une sombre histoire de nuances perdues dans la traduction, sans doute.
Conclusion
Le compte est bon ! Avec Ace Attorney Investigations Collection, Capcom boucle la boucle et signe avec brio le dernier dépoussiérage qui complète le travail de réactualisation débuté en 2019. Phoenix Wright : Ace Attorney Trilogy nous l’avait démontré : côté narration, le poids des années n’ont eu que peu d’emprise sur le Phoenix, mais un ravalement de façade était effectivement nécessaire pour permettre à un nouveau public de découvrir la franchise dans les meilleures conditions. C’est tout aussi vrai pour sa contrepartie en costume pourpre, qui nous régale d’un volet à l’écriture et à l’humour toujours aussi ciselés malgré l’absence du géniteur aux crédits. Avec un premier épisode un peu en retrait même si tout de même très fréquentable et, surtout, un second volet dont l’intensité nous renvoie à nos souvenirs du sacro-saint Trials and Tribulations, cette compilation s’avère être une valeur sûre, capable de ravir le cœur des amateurs de mystères et de retournements de situation improbables. Allez, Capcom, un dernier effort, on finit de tout harmoniser avec petit patch français pour Great Ace Attorney Chronicles et puis on enchaîne sur Ace Attorney 7. Aucune objection pour nous.
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Pour aller plus loin – Test de Ace Attorney Investigations Collection par Actua