Article réalisé à partir d’une clé Xbox Series fournie par l’éditeur.
Révélé au public en 2023, Kunitsu-Gami : Path of the Goddess a immédiatement capté l’attention. Aussi magnifique qu’intrigant, le premier trailer du jeu développé par la Development Division 1 de Capcom, studio responsable de petites franchises méconnues comme Resident Evil ou Devil May Cry, ne nous dévoilait finalement que peu d’indices quant à sa nature réelle. Une campagne marketing, une démo et une collaboration avec Okami (cœur avec les doigts) plus tard, tout est beaucoup plus limpide : Kunitsu-Gami se révèle être une addition atypique au catalogue de l’éditeur nippon, puisqu’il s’agit d’un hybride action / stratégie avec des mécaniques de Tower Defense. Le RE Engine peut vraiment tout faire. Si on ne peut plus exactement qualifier le genre de novateur en 2024, nombre de titres ayant tenté l’hybridation avec plus ou moins de succès (Dungeon Defenders ou Orcs Must Die, pour ne citer qu’eux), le petit dernier de Capcom ambitionne bien de se tailler une belle place au soleil (levant). Au-delà de sa belle gueule, Kunitsu-Gami a-t-il les arguments pour nous entraîner au bout de la nuit ?
Elle descend de la montagne sans cheval
Kunitsu-Gami : Path of the Goddess met en scène un Japon féodal fantastique, où règnent les créatures de l’esprit, les mikos et les samouraïs mystiques. À la cime du mont Kafuku, se tient un temple, dans lequel officie la jeune prêtresse Yoshiro. Bénissant sans relâche les lieux de ses prières, sa vie va pourtant basculer le jour où la malveillance et l’avidité grandissantes des hommes provoque le courroux des Ikoku, sortes de yokais sanguinaires. La ferveur pieuse de la jeune femme ne suffit plus à contenir les hordes de démons en colère qui déferlent sur le monde en répandant massacre et corruption. Pire encore, les engeances du mal s’emparent de onze des douze masques sacrés contenant la sagesse divine. Impuissante face à la gravité de la situation, la jeune femme invoque Soh, son gardien mystique et incarnation du joueur. Un combat féroce s’engage, mais la bravoure du guerrier n’y change rien et le binôme se voit contraint de goûter au déshonneur de la fuite. Leur dernier espoir repose désormais sur un ultime rituel de purification, nécessitant de récupérer les masques divins et de reconquérir un à un chaque lieu perverti par les démons.
Enfant du soleil
Protéger une prêtresse, nettoyer les lieux de cultes pestiférés, c’est bien joli. Mais concrètement, comment les choses se passent-elles manette en mains ? Dans les faits, la structure de Kunitsu-Gami repose intégralement sur une succession de niveaux cloisonnés, où le joueur a la tâche d’escorter la prêtresse jusqu’aux torii maudits afin de lever la corruption. Plutôt qu’un titre résolument action, Capcom a préféré une approche plus stratégique, en dotant son petit dernier de subtilités qui changent la donne. La plus importante étant l’alternance jour / nuit au gré du temps qui s’écoule. Durant la journée, les Ikoku se tiennent à carreau, Soh a donc toute latitude pour explorer et purifier les zones traversées. À la clé, villageois à sauver, cristaux à récolter pour monnayer l’affectation de rôles à ses nouveaux protégés (bûcheron, archer, ascète et d’autres plus exotiques) et infrastructures à réparer (pièges, tours de guet, éboulis à dégager, etc). Évidemment, le temps file à la vitesse de la lumière, et il est souvent impossible de tout faire. Savoir prioriser les réparations, qui accaparent soit un charpentier dédié à cette tâche soit un certain nombre de villageois, est un véritable atout pour optimiser cette course contre la montre de tous les instants. Tant que le soleil brille, il est également possible de tracer une Voie Sacrée au sol conditionnant l’avancée (automatique mais stoppable) de la prêtresse, toujours en échange des précieux cristaux. Méfiance toutefois, garder un œil sur sa progression s’avère rapidement vital, la laisser se positionner dans un endroit peu avantageux à la tombée de la nuit n’étant jamais une bonne idée. Une fois les derniers rayons de soleil disparus, la phase préparatoire se termine et les choses prennent une tournure nettement plus physique.
True Japanese night experience
Si se promener au Japon la nuit reste une expérience globalement satisfaisante, les segments nocturnes de Kunitsu-Gami pourraient à eux seuls justifier une belle review négative sur Booking.com. L’instant où la journée touche à sa fin signe à la fois l’arrêt temporaire de la progression de la miko, abritée derrière une fragile barrière protectrice, et l’ouverture des torii maudits, qui vomissent une armée de créatures démoniaques difformes fonçant droit sur la jeune femme. Privé de ses capacités de purification, le joueur peut se focaliser sur le seul objectif des phases nocturnes : protéger Yoshiro des démons jusqu’au lever du soleil. Kunitsu-Gami se mue alors en Tower Defense. Le katana de Soh n’est pas qu’une jolie décoration, l’autorisant à prendre part activement aux escarmouches, d’autant plus que son trépas ne signifie pas la fin de la partie, mais “juste” de voir son âme expulsée de son enveloppe physique quelque temps. Côté cool : chaque démon qui trépasse laisse derrière lui de précieux cristaux. Côté moins cool : les ennemis sont trop nombreux et le samouraï ne peut pas être partout à la fois, surtout quand plusieurs portails s’ouvrent simultanément chacun à un coin de la carte. Déployer ses villageois intelligemment (en pause active, ouf), leur attribuer le bon rôle au bon moment et tirer au mieux parti de la configuration de la zone et des infrastructures réparées la journée devient rapidement la clé d’une survie sans trop de bobos. Le titre aimant particulièrement varier les situations, l’adaptation et la flexibilité sont de mise. On ne protège pas un bateau de la même façon qu’un cimetière, et la douzaine de boss qui ponctuent la progression, plus retors, puissants et moches, laissent peu de place à la fuite et forcent à revoir régulièrement sa stratégie.
Now we must rebuild
Entre deux éradications d’Ikoku, Soh et la prêtresse peuvent poser leurs guêtres dans les zones reconquises, peuplées à nouveau par les villageois sauvés durant les missions. C’est l’occasion pour le binôme de s’adonner à un peu de gestion. Chaque localité abrite plusieurs bâtiments détruits par les démons qu’il est possible de faire réparer. Contre un peu de temps (décompté ici en unités, une par mission effectuée) et d’huile de coude des villageois -encore eux-, donner une seconde vie à une statue ou une maison permet d’obtenir diverses contreparties. Des points de Musubi, essentiels pour améliorer ses unités et les capacités de Soh, aux talismans Mazo à équiper et octroyant des bonus passifs, en passant par les gardes Tsuba dotant le katana de Soh de techniques spéciales aux effets ravageurs, les bénéfices sont multiples. De quoi disposer de nouvelles cordes à son arc pour les purifications ultérieures, et de beaux prétextes pour tenter de nouvelles approches. On apprécie. Plus anecdotique, le titre propose également quelques objets à collectionner, sous forme d’ema, les fameuses plaques en bois accrochées dans les temples, à l’effigie des personnages du jeu, de (magnifiques) tapisseries murales ou de sucreries japonaises. Fringale instantanée pour quiconque ose afficher leur modèle 3D. En clair, les bonus sont suffisamment alléchants et la mise en œuvre suffisamment rapide pour que cette phase, facultative dans l’absolu, ne soit jamais trop négligée, même par les joueurs les plus pressés. Il suffit de voir l’efficacité sur le terrain d’un ascète boosté au maximum pour s’en convaincre.
Soh cacao
Doté de fondations solides côté gameplay, Kunitsu-Gami entend également tirer son épingle du jeu avec d’autres qualités. Tout d’abord, et c’est ce qui saute immédiatement aux yeux quand on lance sa première partie, sa direction artistique ultra japonisante. Pas foncièrement originale sur le papier, vu le nombre d’œuvres qui ont joué cette carte rien que durant la dernière décennie, rares sont ceux qui ont fait preuve d’un tel jusqu’au-boutisme. Des musiques aux taikos endiablés aux designs des personnages et des démons (Capcom et les monstres, la love story perpétuelle), en passant par les menus aux looks de goshuin-cho et les chorégraphies dansantes des protagonistes inspirées du Kagura, rien n’a été laissé au hasard. Atmosphère folklore nippon garantie. Le titre propose en outre un certain challenge. Loin d’être insurmontable en règle générale, quelques boss opposent tout de même une résistance farouche et certains objectifs annexes des missions pimentent un peu la soupe miso (avec en prime, une belle récolte de points de Musubi). Le titre affiche également une envie manifeste de bien faire les choses, avec sa propension à apporter à chaque nouvelle zone son petit twist, injectant continuellement des nouveautés à une structure qui reste, elle, inchangée du début à la fin de l’aventure. Et puisqu’on parle de fin, il convient également de mentionner une bonne rejouabilité, avec un New Game+ qui réserve quelques surprises au joueur. Comptez une bonne quinzaine d’heures sans trop traîner sur le premier Run, et environ le double pour tout boucler.
Les démons de minuit
S’il ne révolutionne pas la formule du jeu d’action stratégie désormais bien établie dans paysage vidéoludique, Kunitsu-Gami a donc tout de même quelques belles cartes à jouer pour convaincre les amateurs. Pour autant, il ne s’agit pas d’un titre parfait et il comporte quelques faiblesses capables de freiner les ardeurs. Les deux plus problématiques étant une interface parfois peu pratique, notamment lorsqu’il s’agit de modifier son équipement ou gérer des troupes plus volumineuses, et un certain déséquilibre dans l’utilité des rôles des villageois. Les vocations de base se révèlent trop passe-partout pour pousser le joueur à employer celles obtenues plus tard dans l’aventure. Les combats auraient également gagné à être mieux fignolés niveau feedback et précision. Les frappes de Soh manquent d’un peu d’impact et on peste ponctuellement sur quelques attaques lancées dans le vide, la faute à une lecture des perspectives parfois compliquée dans le feu de l’action. Autre point, malgré la multiplication de bonnes intentions évidentes pour renouveler sa progression, la structure de Kunitsu-Gami est indéboulonnable de A à Z, ce qui peut aisément provoquer une certaine lassitude chez ceux que la redondance irrite facilement. Et si faire évoluer les capacités de Soh est un bon moteur de progression, difficile de s’y raccrocher durant le premier tiers de l’aventure, puisque cette mécanique se dévoile étrangement tard. Il ne faut pas non plus compter sur une narration dense et riche, puisqu’au-delà de sa mise en contexte initiale, le jeu de Capcom joue la carte des cinématiques suggestives, sans aucune ligne de dialogue ou de texte. L’atmosphère éthérée s’en trouve magnifiée, mais les allergiques aux personnages muets auront le nez qui coule.
Conclusion
Pas aussi original qu’espéré sur le fond, Kunitsu-Gami n’en reste pas moins une proposition tout à fait solide, tant en termes d’enrobage que d’exécution. Pas besoin de réinventer la roue pour se forger une identité, et à ce petit jeu, le titre de Capcom s’avère d’une efficacité redoutable. Difficile de ne pas lui donner immédiatement le kami sans confession tant son visuel charme instantanément, avec une direction artistique aussi léchée qu’envoûtante, jouant la carte du folklore nippon à fond les ballons. Malgré quelques écueils côté interface / ergonomie, une narration minimaliste (à chacun de se faire son avis) et une structure répétitive par essence, impossible de ne pas remarquer sa volonté évidente de se réinventer constamment et de bien faire les choses. En témoignent une multitude de petits twists qui émaillent chaque niveau, un bestiaire de qualité et une boucle de gameplay stratégique, non sans failles, mais bien assez huilée pour semer les graines de l’addiction. La preuve, même parvenu au terme de l’aventure, on a envie d’en relancer “une petite dernière”. La marque des vrais, quoi.
Envie de plus de lecture ? N’hésitez pas à retrouver tous nos avis jeu vidéo dans notre index des publications.