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Passé trop inaperçu malgré sa personnalité bien trempée, NieR, suite d’une des fins alternatives de son ancêtre Drakengard, sorti en 2010 sur PS3 et Xbox 360 et développé par le studio Cavia, s’est finalement révélé être un titre clivant. Encensé par certains, de par son univers original éthéré, mature et violent, son parti-pris esthétique et sa bande son des Grands Soirs, le jeu est toutefois considéré comme une sombre bouse pour d’autres, à cause de ses tares techniques flagrantes, sa redondance et ses maladresses. Malgré le succès d’estime auprès de la presse spécialisée et des joueurs les plus chevronnés, le succès commercial ne fut pas vraiment au rendez-vous. Toutefois, cela ne découragea pas Square Enix, qui mit en chantier une suite et confia le développement du bébé au désormais renommé studio Platinum Games, géniteur, entre autres, d’un certain Vanquish ou d’autres petit jeux comme Bayonetta. Et ça, sur le papier, ça envoie.

« J’ai vu tant de choses… »

Suite à l’invasion d’une armée de machines envoyée par une énigmatique race alien, l’Humanité fut contrainte de s’exiler sur la Lune pour survivre, laissant la planète bleue aux mains de l’envahisseur mécanique. Pour reprendre notre Terre bien-aimée aux griffes des machines, le projet YoRHa, consistant en la création d’androïdes de combat aux ordres du Conseil de l’Humanité, fut créé. L’histoire débute des milliers d’années plus tard, en l’an 11945, alors que 2B, notre protagoniste et androïde de combat de l’unité YoRHa, est envoyée en expédition punitive sur une usine de fabrication de machines. Rapidement secondée par 9S, une unité de reconnaissance moins fiable en combat que sa comparse, mais disposant de capacités de piratage qui s’avèreront bien utiles, le binôme se retrouvera ballotté par les évènements, découvrant petit à petit que la réalité de la guerre contre les machines n’est pas forcément telle qu’ils l’avaient imaginée.

« I  make weird games for weird people »

Dès les premières minutes de son introduction, ce qui frappe dans le titre de Platinum Games est sa schizophrénie. Variations et fusions de gameplay sont au cœur de l’expérience et le jeu n’hésitera à aucun moment à se grimer en Shoot Them Up, Plateformer 2D (ou 2.5D) ou encore Twin Stick Shooter. Cette volonté de maintenir l’attention du joueur tout en le sortant continuellement de sa zone de confort était déjà une marque de fabrique du premier NieR, mais le délire est ici poussé encore plus loin, sans pour autant ressembler à un vieux slip en patchwork. Ici, pas de coutures qui grattent l’entrejambe, toutes les pièces sont cousues précautionneusement pour éviter d’irriter les parties les plus fragiles et même si quelques petits accrocs (notamment au niveau de la caméra) restent à déplorer, dans la grande majorité des cas cet aspect de NieR Automata est parfaitement maîtrisé.

Le plus gros du titre, toutefois, est présenté sous une forme classique de Beat Them All moderne, Platinum Games oblige. Premier constat, 2B est d’une vélocité rare et répond au doigt et à l’œil. Cette impression se trouve renforcée par des animations ultra-souples et détaillées, au point de parfois perdre de vue le déroulement des combats pour admirer, le temps de quelques secondes, la grâce et la violence félines de notre héroïne d’acier. Concrètement, et surtout lorsqu’on a connu les approximations de son ancêtre sur ce sujet, ce dépoussiérage fortement inspiré d’un Bayonetta-Light envoie son petit coup de latte dans les valseuses et vient dynamiter la formule initiale. Malgré tout, difficile d’occulter un léger manque de profondeur, une certaine redondance et un déficit en challenge, les esquives étant très permissives et les combos, finalement assez peu variés (malgré la présence de quatre catégories d’armes et de manipulations « cachées » permettant d’élargir le champ des possibles). Mais le système fait plutôt bien le job et se jeter dans la mêlée à boulons perdus se révèle bien souvent jubilatoire. Ajoutez-y  quelques éléments typés RPG, un forgeron pour améliorer ses armes (autant en matière de dégâts que de longueur d’enchaînements) et d’un système de puces à équiper, permettant de personnaliser l’expérience à la carte en modifiant les statistiques de votre personnage, conférant des bonus passifs, voire même en ajoutant ou en retirant des éléments de l’interface et vous obtenez un résultat solide à défaut d’atteindre le niveau des ténors du genre.

D’ailleurs,  concernant la personnalisation de l’interface, difficile de ne pas mentionner un autre aspect de NieR Automata. En effet, de nombreux éléments « méta » font régulièrement voler le quatrième mur en éclat tout en intégrant à la mythologie du jeu jusqu’à son HUD ou son système de téléportation. Le scénario est d’ailleurs sa plus grande force, et les passages où le joueur est pris à parti sont autant de clés de voûte de la progression de l’histoire, aussi bien sur le plan de son implication émotionnelle que celui de l’évolution des personnages. Il est indubitable de constater que sur ce point, Yoko Taro a parfaitement rempli son office. Sublimé par son écriture (et son excellente localisation française), sa bande son proche de la perfection (signée Keiichi Okabe et Keigo Hoashi), ses personnages (excellent doublage japonais, par ailleurs) et sa mise en scène, le titre se révèle riche en moments poignants, sombres et bien souvent dramatiques. Dépressifs, s’abstenir.

La machine avalé

Et peut-on parler du scénario sans évoquer la tripotée de fins disponibles ? Si la plupart d’entre elles sont facultatives et expédiées tel un burrito dans les toilettes après une soirée dans un mauvais restaurant mexicain (sauvegarde régulière impérative), il faudra un peu d’acharnement pour avoir droit au véritable dénouement, le jeu conseillant lui-même de ne pas s’arrêter au premier défilement de crédits venu. L’avertissement est d’autant plus avisé que les premières conclusions atteintes ne font office que d’exposition comparativement à ce qu’il reste à découvrir dans les runs les plus avancés. Avec son New Game+ tout en itération, le joueur est amené à alterner les points de vue et incarner d’autres personnages avec toutes les variations de gameplay que cela peut sous-entendre. Certains sont bons même si toujours répétitifs par nature, d’autres un peu moins inspirés, notamment le piratage, un peu craqué, qui hache beaucoup le rythme mais permet quelques fulgurances de mise en scène. Pour éviter de trop divulgâcher, disons simplement que le développement de l’intrigue soulève de nombreuses questions, aussi bien métaphysiques et philosophiques faisant écho aux thématiques de l’œuvre de Philip K. Dick, que bibliques à travers un duo d’antagonistes répondant aux noms d’Adam et Eve, qui, bien que relativement transparent, nous donne une excellente opportunité d’enfin savoir qui de la Pomme ou de l’Androïde est le plus résilient.

« …Il est temps de mourir. »

Ce bilan positif étant fait, quid de l’écrin de cette petite gemme ? Hélas, force est de constater que la partie technique du titre est clairement en retrait. Si le parti-pris d’afficher l’action à 60 images par seconde est une bouffée d’air frais pour le genre, le pari n’est pas parfaitement tenu, et les concessions qui en découlent sont assez flagrantes. Toussotements réguliers du framerate sur PS4, environnements dépouillés et régulièrement aliasés, modélisation parfois grossière, ou encore problèmes de clipping et de distance d’affichage sont au menu. Si cela ne ternit pas forcément l’atmosphère apocalyptique du soft, ces écueils ne rendent pas vraiment honneur à l’univers génial de Yoko Taro. On aurait aimé ne pas tomber sur des carcasses de voitures issues de la génération passée, des immeubles anguleux modélisés à la truelle et autres textures déjà franchement limite sur PS3. D’autant plus que si l’effort de proposer un monde ouvert reste louable, il ne fait illusion qu’un temps, et finit par dévoiler son aspect cloisonné et bardé de murs invisibles agaçants parfois placés à des endroits incompréhensibles. Ce qui ne manque jamais de générer des palettes entières de sel de Guérande. On hérite également des sempiternelles tares de construction de monde ouvert traditionnel avec son lot de quêtes annexes souvent typées FedEx qui, si elles ont le mérite de compenser les aller-retours consentis par le joueur au travers de dialogues bien ficelés enrichissant l’univers, sont trop souvent accompagnées d’une prolifération acnéique de marqueurs qui clignotent. Si ça ne reste que peu dommageable, compte tenu de l’aspect facultatif de ce contenu, il faut bien admettre que cela n’allège pas la lisibilité de la carte déjà relativement floue.

En combat, heureusement, la fluidité est quasi-constante, mais la caméra, princière en temps normal, peut également peiner à suivre la célérité des personnages incarnés. Sans parler de ses décrochements parfois abrupts dans les espaces exigus et lors des changements de style de gameplay (et particulièrement sur les boss « à phases » ou lors de certains passages de plateformes en 2.5D). De même, la débauche d’effets visuels affichée à l’écran peut assez rapidement rendre l’action peu lisible et pousser le joueur à bourriner les esquives, un peu au hasard. Toutefois, et malgré ces quelques défauts, le jeu montre en toute circonstance son envie de bien faire, et la sincérité qui l’anime est tellement palpable que l’on passera souvent l’éponge.

Conclusion

NieR Automata est la preuve que parfois, la valeur d’un ensemble dépasse celle de la somme des éléments qui le constituent.  Malgré ses carences techniques, les errements de sa caméra, la relative pertinence de son Open-World et la redondance de ses phases de combats, le bon l’emporte largement grâce à la tonalité du scénario qui distille une atmosphère sombre, la qualité de son écriture et les thèmes forts qu’il aborde. Comme son ancêtre, et même si c’est dans une moindre mesure, le titre de Platinum Games affiche parfois ce petit air de jeu un peu fauché qui se démène pour compenser avec ses arguments, mais difficile de nier qu’il le fait bien. A quiconque osera s’aventurer par delà quelques défilements de crédits, le jeu de Yoko Taro marquera la mémoire au fer rouge. Telle une métaphore de ses personnages, sous cet amas métallique et froid au premier contact se cachent assurément une âme et un cœur qui bat.

 

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Trailer du jeu :