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Journal de bord, jour 3. Cela fait quelques jours que mon vaisseau, l’Aurora, s’est écrasé sur cette étrange planète entièrement recouverte d’eau qu’est 4546B et pourtant, j’ai l’impression que le temps s’égrène au ralenti. Je suis passablement désorienté, affamé et déshydraté, n’étant encore en vie que grâce à l’alimentation à énergie solaire de ma capsule de survie. Survie d’ailleurs quelque peu rugueuse, je passe le plus clair de mon temps à récolter, au hasard, les quelques ressources que je trouve au cours de mes expéditions peu profondes, faute de matériel. C’est décidé, demain, je me focalise sur la récolte des matériaux nécessaires à la confection d’un kit de plongée digne de ce nom, je prends mon courage à deux mains, et je passe sous la barre des cinquante mètres. J’espère juste que je ne vais pas me découvrir une thalassophobie cachée entre-temps.

Salut, on se fait l’abysse ?

Comme vous l’aurez probablement compris, Subnautica est donc un jeu d’exploration et de survie en milieu aquatique, uniquement solo, conçu par Unknown Worlds Entertainment, les géniteurs de Natural Selection 1 et 2, et sorti en janvier 2018 après quatre années d’accès anticipé. Le titre plonge le joueur dans la peau de Riley Robinson, dont le vaisseau spatial se crashe sur une mystérieuse planète extraterrestre façon Waterworld (Kevin Costner en moins), et qui est amené à prendre la pleine mesure de l’ironie de son patronyme. Mais pas le temps d’avoir de vague à l’âme. Ici, l’heure est à la survie, et il faudra commencer par réparer les quelques installations endommagées du Pod faisant office de base de fortune. Un rapide tour du propriétaire et le joueur découvrira un fabricateur fonctionnel, moteur de craft du jeu et sorte d’imprimante 3D du futur, dédié à la confection de tout un panel d’outils, consommables, et équipements pour peu qu’on le nourrisse des composants nécessaires et d’un peu d’énergie.

L’un des premiers appareils fabricables est un scanner, dont le double emploi consistera à analyser la faune et la flore de 4546B, transformant l’assistant personnel du protagoniste en véritable encyclopédie garnie comme une piñata, mais aussi à numériser les débris abandonnés par l’Aurora, reconstituant ainsi certaines technologies. De prime abord plutôt restreint, le catalogue proposé par le fabricateur va donc s’étoffer, permettant de progressivement s’affranchir des restrictions du départ. Un jeu de survie de qualité se doit de proposer une montée en puissance satisfaisante, donnant l’opportunité au joueur de relever des défis de plus en plus périlleux sans avoir à consacrer le même temps à gérer les basses besognes qu’à ses débuts, et force est de constater que Subnautica remplit parfaitement son office. Les découvertes de précieux schémas seront autant de sésames vers des plongées plus longues et profondes. Au début, palmes, bouteilles d’oxygène, et scooter sous-marin accélèreront considérablement l’exploration sous-marine, mais à terme, divers véhicules devront être fabriqués et améliorés, changeant radicalement la façon d’appréhender cette planète étrangère.

La première sortie de la capsule de survie mettra immédiatement dans le bain et infligera la première petite gifle d’une longue série. Ici, il n’est point question de cette génération procédurale tant en vogue. Les gars d’Unknown Worlds ont pris le parti d’un univers intégralement fait-main, et cela se ressent clairement, tant le travail consenti sur le visuel des fonds marins est colossal. Constituée d’une grosse trentaine de biomes très différents, la zone de jeu est d’une richesse tout simplement bluffante et chacun des environnements traversés est un véritable bonbon pour les yeux. Forêt de champignons géants, jungle d’algues disproportionnées, crevasses sous-marines, réseaux de grottes étroites et tentaculaires mettant à mal sens de l’orientation et résistance au stress quand l’air vient à manquer, et tant d’autres encore seront le quotidien de tout plongeur. Un véritable sans faute esthétique qui décrochera à n’en point douter son petit quota de maxillaires.

Message in a bottle

Si la zone de départ n’est profonde que de quelques brasses, elle n’est pas pour autant dénuée de dangers, et les premiers contacts avec la faune et la flore de 4546B ne se feront pas toujours sans heurts, même si rien de très létal ne détournera dans un premier temps l’attention du joueur des indicateurs du HUD, composé principalement de quatre jauges (santé, satiété, hydratation et oxygène). Une interface épurée, mais limpide comme de l’eau de roche, ce qui ne gâche rien. A noter qu’il existe quatre modes de jeu, autorisant un paramétrage des restrictions souhaitées au moment de commencer la partie : Survie (toutes jauges actives), Libre (gestion uniquement des barres de vie et d’oxygène), Hardcore (mode Survie avec mort permanente) et Créatif (aucune restriction et bases fonctionnant sans énergie), pur mode bac à sable, mais empêchant toute progression dans le scénario. Oui, un scénario. Dans un jeu de survie.

C’est sûrement sur ce point que Subnautica pourra surprendre le plus : sitôt après avoir réparé le récepteur radio du Lifepod, ce dernier se mettra à cracher des messages grésillants en provenance d’autres capsules expulsées par l’Aurora, indiquant ou évoquant le plus souvent leurs coordonnées. Poussant le joueur hors de sa zone de confort en le forçant à s’aventurer dans des endroits de plus en plus profonds et inhospitaliers, leur visite donnera la plupart du temps lieu au dénichage d’archives textuelles ou audio, permettant d’en apprendre davantage sur les tenants et aboutissants du crash, les pistes de survie envisagées par d’autres survivants ou encore sur des éléments de Lore. A de nombreuses reprises, le joueur sera amené à découvrir diverses thématiques et éléments de narration qu’on est normalement à vingt mille lieues d’attendre de ce type de jeu, habituellement sans réel objectif ou fin identifiable. L’effort est d’autant plus louable que la qualité d’écriture est au rendez-vous, mais entrer plus amplement dans les détails serait criminel. Dans tous les cas, le PDA débordera rapidement d’informations cruciales à la progression dans la trame principale et tout lire deviendra très vite un réflexe.

Piège en eaux troubles

La possibilité d’implanter une (ou plusieurs) base sous-marine à n’importe quel endroit sera également un des moteurs de progression, dans la mesure où l’espace disponible dans le Pod de départ ne suffira clairement jamais à quiconque sera désireux de collecter et entreposer un maximum de ressources pour répondre à ses besoins. D’ailleurs, si l’on devait retenir l’un des défauts principaux du soft, on pourrait parler de sa propension à pousser le joueur à aligner par packs de douze les conteneurs et à transporter régulièrement son stock de composants des uns aux autres. Si ces quelques errances, pas moins rébarbatives qu’ailleurs, sont à déplorer, elles restent suffisamment rares pour ne jamais réellement frustrer. Quitte à pinailler, précisons également que la partie housing du titre, bien que satisfaisante et fonctionnelle, manque quelque peu de clarté lorsqu’il s’agit d’emboîter correctement nos premières salles entre elles. Rien d’insurmontable, mais il est étonnant de constater un léger déficit en finesse de ce côté quand on voit la minutie accordée aux autres fonctionnalités. L’autre gros rendez-vous manqué de Subnautica concerne sa partie technique. En effet, le moteur graphique est loin d’être exempt de défauts, provoquant régulièrement quelques freezes et autres popping de textures assez sales sur PC. Sur console, le problème est encore plus marqué, puisque ce sont carrément des pans entiers de biomes qui galèrent parfois à apparaître, autorisant le joueur à plonger à des endroits où il n’est pas supposé être et rendant donc accessibles certains lieux proches de la fin du jeu bien avant leur heure.

Il reste que plonger de plus en plus profondément à la recherche de la prochaine technologie, du prochain point-clé scénaristique ou du prochain biome procurera la grande majorité du temps un émerveillement sans cesse renouvelé. Et c’est à ces instants précis de relâchement que Subnautica en profitera pour vous faucher sur place. Lorsque le joueur, fort de son expérience et de son nouveau matériel high-tech, commencera à se sentir un peu trop en confiance, une petit piqûre de rappel bien sentie lui sera administrée, que ça soit par une rencontre fâcheuse ou par un Sound Design de haute volée. Les fonds marins sont parfois aussi beaux qu’ils savent se montrer hostiles et oppressants. Sans aller jusqu’à verser dans le Survival Horror, la sensation de confinement et de tension parfois distillée est plus que prégnante, et même une montagne de testostérone aguerrie lâchera assurément quelques petits couinements de collégienne en tombant face à face à une des charmantes bestioles agressives des recoins les plus sombres. Unknown Worlds a parfaitement compris et retranscrit l’essence de la dualité entre fascination et terreur viscérale que provoquent les fonds marins. Mais clairement, il ne faut pas bouder son plaisir face à ces quelques sensations fortes potentielles. Après tout, il aurait été dommage qu’un jeu traitant de plongée sous-marine ne soit pas un modèle d’immersion.

Conclusion

Journal de bord, jour 138. Voilà déjà plus de quatre mois que mon vaisseau s’est écrasé sur la planète 4546B. Je n’aurais jamais cru dire ça, il y a quelques semaines encore, mais malgré tout ce que j’ai traversé jusqu’ici, malgré toutes les épreuves rencontrées et surmontées avec plus ou moins de succès, je dois admettre que mon estomac se noue à l’idée de voir poindre la conclusion de mon aventure. J’ai fini par prendre mes marques dans ce biotope si singulier, à l’apprivoiser, autant que faire se peut. Au départ, intimidante et uniquement motivée par l’urgence de ma situation, la plongée est petit à petit devenue instinctive et naturelle et j’ai pu finir par prendre mon temps. Peut-être est-ce à ce moment précis que le déclic s’est produit. D’abord intrus, j’ai fini par m’adapter et comprendre les créatures qui peuplent ce monde marin, le fonctionnement de leur écosystème et les règles de tous ces biomes différents, que je connais désormais comme ma poche, devenant ainsi partie intégrante de cet univers. Sans mauvais jeu de mots – enfin si, un peu quand même – cette planète représenterait un sacré rêve humide pour les copains zoologistes. Mais après tout, comme me l’a soufflé un ami, qu’est-ce qu’une vague sans océan ? Un début sans une fin ?

 

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Trailer du jeu :