Article réalisé à partir d’une clé Steam fournie par Capcom.
Configuration de test : Core i7-12700KF, 32 Go de RAM, GeForce RTX 3070Ti 8 Go.
Publié à l’origine en 2010 sur DS, Ghost Trick est le projet le plus personnel de Shu Takumi, génial géniteur de la saga Ace Attorney. Il faut bien avouer qu’après la première trilogie de son simulateur d’avocat et un premier opus de transition avec Apollo Justice, la confiance était de mise. Capcom s’est donc logiquement montré plus enclin à lui laisser carte blanche. Résultat de ses expérimentations, notre sujet du jour a finalement reçu un accueil critique élogieux. Pourtant, faute de réelle communication autour du titre, Ghost Trick n’a pas vraiment rencontré son public lors de sa sortie. Malgré un démarrage en trombe au Pays du Soleil Levant, les ventes se sont rapidement effondrées, pour un bilan final plus que mitigé. Ses performances dans le reste du monde n’ont clairement pas recadré le tir, finissant de clouer le cercueil de la franchise. Malgré sa notoriété auprès d’un public plus investi, il était donc inespéré de la voir signer son grand retour en 2023. Et pourtant, nous voilà, treize ans plus tard, face à un remaster inattendu et disponible sur tous les supports. L’enquêteur fantôme obtient une seconde chance de convaincre, mais dispose-t-il des arguments pour captiver les joueurs d’aujourd’hui ?
This is the end, beautiful friend
Dure soirée pour Sissel, protagoniste de Ghost Trick. Sa situation n’a rien d’enviable : il reprend connaissance dans une décharge sans trop savoir ce qu’il est venu y faire, ses souvenirs ayant totalement disparu, et le corps inerte qui gît à ses pieds est sans aucun doute le sien. Ce soir, Sissel est mort. Et sa mémoire vide laisse planer de nombreuses questions. Qui l’a tué ? Et surtout, pourquoi ? Mais pas le temps de trop se creuser la tête pour l’instant. Une jeune fille se tient devant lui, tenue en joue par un tueur armé d’un fusil à pompe. Et Sissel n’est pas du genre à ignorer une femme en détresse. Problème, aider son prochain quand on est intangible et que personne ne peut ni nous voir ni nous entendre n’est pas chose aisée. Toutefois, son décès ne s’accompagne pas que de désavantages, puisqu’il se retrouve doté de “Pouvoirs des Morts”. Grâce à ses nouvelles capacités, le voilà capable d’interagir avec les objets inanimés qui l’entourent. Mais hélas, son inexpérience ne lui permet pas de sauver la jeune femme, sa seule et unique piste sur les traces de son passé et de son identité. Tout semble alors perdu. C’est alors que Ray, un mystérieux esprit incarné dans une lampe de bureau, lui propose une alliance et des informations sur l’étendue de ses nouvelles capacités. Les pouvoirs de Sissel vont bien plus loin que ce qu’il imaginait, puisqu’il est également capable d’effacer une mort en remontant le temps quatre minutes avant qu’elle ne survienne. Mû par une détermination nouvelle, notre fantôme revient alors quelques instants avant le décès de la jeune femme. Ce premier retour dans le passé n’est que le premier d’une longue nuit qui va mettre à jour à la fois son histoire ainsi qu’une gigantesque machination ayant conduit à son assassinat.
La mort lui va si bien
Treize ans après la sortie de l’original, on peut penser que le concept de Ghost Trick est aujourd’hui devenu banal. Pourtant, il reste une proposition singulière, même dans le paysage vidéoludique actuel. Plus qu’un jeu d’investigation, la progéniture de Shu Takumi est en fait un Murder Mystery orienté Point & Click. L’action se déroule dans des environnements cloisonnés en deux dimensions, dans lequel le joueur doit tour à tour obtenir des informations et sauver de nombreux personnages du trépas en temps limité pour faire progresser l’intrigue. Sa spécificité vient plutôt des contraintes imposées au joueur. Fantôme de son état, Sissel peut naviguer à volonté entre le monde des morts et celui des vivants. Dans le royaume des esprits, le temps est figé et notre héros peut se déplacer d’objet en objet. Toutefois, sa portée est limitée, entravant régulièrement sa progression. Il est alors nécessaire de basculer dans le domaine des vivants, où Sissel peut activer physiquement les objets. Un bol de beignets peut attirer un rat pour créer une diversion, le balancier d’une pendule permet de couvrir une plus grande distance, etc. De quoi bloquer régulièrement, certains objets n’étant pas activables à l’infini. Heureusement, le joueur peut remonter à volonté au dernier checkpoint, atténuant la frustration inhérente à ce côté Die & Retry. À noter que si le titre incite à l’expérimentation, les méthodes à appliquer pour résoudre un problème sont figées et ne laissent aucune place à la créativité. L’observation et des cellules grises en état de fonctionnement sont donc les clés pour se dépêtrer des pires situations. Judicieusement, le titre a l’intelligence de multiplier les indices et de présenter le déroulement des événements une fois avant de laisser le champ libre au joueur.
Memento Mori
Surprenant, malin, et encore très actuel, autant de qualificatifs qui collent à Ghost Trick. Rares sont les baisses de rythme durant la grosse douzaine d’heures nécessaires pour en voir la conclusion. Malgré une certaine répétitivité inhérente au genre, le scénario s’avère haletant et copieusement pourvu en twists efficaces et inattendus (cette fin). Treize années plus tard, son mystère est toujours aussi passionnant à suivre. Déjà largement remarquable au niveau de l’écriture millimétrée, le titre porte également la griffe “Shu Takumi” sur deux autres aspects. En premier lieu, sa direction artistique flamboyante, avec un character design aux petits oignons et un enrobage sonore et musical, déjà de haute volée d’origine, qui bénéficie ici d’une ré-instrumentalisation du meilleur goût. Difficile d’exorciser des thèmes comme “Ghost Trick” ou “The Targeted Redhead” quand ils prennent possession de nos cerveaux sensibles à ce genre d’attention. Les animations du titre, l’un de ses gros points forts en 2010, ont bénéficié d’un soin particulier, pour un résultat encore plus délicieusement détaillé. Il suffit de voir le déhanché de l’inspecteur Cabanela, hybride spirituel de Elvis et Michael Jackson, pour s’en convaincre. Pourtant, malgré sa qualité évidente, ce remaster porte les stigmates de la paresse sur quelques points. On peste sur le format d’affichage resté bloqué à la décennie passée, avec un 4/3 inattendu. Idem au niveau de la localisation française restée d’époque, fautes d’orthographes et maladresses incluses. Enfin, si le titre apporte bien quelques bonus, ils restent très anecdotiques pour ceux qui ont déjà écumé l’original. Rien qui ne suffise à gâcher le plaisir ni écorner l’aura de Ghost Trick, mais de quoi bougonner un peu quand même.
Conclusion :
Personne ne l’attendait au tournant, et pourtant voir Ghost Trick ressusciter sur nos supports modernes est un véritable plaisir. Sa qualité narrative, restée intacte aujourd’hui, n’a de rivale que son ingéniosité lorsqu’il s’agit de nous faire passer par toutes les émotions le temps d’une courte nuit trépidante. Ce remaster inespéré est sans aucun doute taillé pour lui permettre d’accéder, autrement qu’à titre posthume, à la notoriété qui lui semblait pourtant promise. Les nouveaux venus y trouveront un titre intelligent, bien ficelé et à la personnalité bien trempée. Largement assez en tout cas pour hanter les esprits même une fois la console éteinte. Pour les autres, toutefois, et même si la perspective de renouer avec les fantômes du passé est très aguicheuse, le titre s’avère identique à l’expérience d’époque, tout juste augmentée d’une (très bonne) refonte esthétique et de quelques bonus à débloquer. On aurait tout de même apprécié que Capcom apporte plus de lustre à sa copie afin d’effacer les quelques tâches résiduelles sur le manteau blanc de l’original. Mais pas de quoi bouder son plaisir, tant le One Shot de Shu Takumi s’avère toujours aussi efficace et unique à bien des égards.
Pour aller plus loin – Test de Ghost Trick par Actua
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