Quiconque est familier avec le monde du développement vous le dira, la sortie d’un jeu tient bien plus souvent du petit miracle que de la gestion de projet carrée et pertinente, les facteurs bloquants se bousculant systématiquement au portillon. Notre sujet du jour, Outer Wilds, ne déroge pas à la règle, tant son existence relève d’une succession d’heureux hasards. Initialement conçu comme un sujet de thèse de fin de Master de son créateur, Alex Beachum, le titre finit par remporter en 2015 le prix Seumas McNally, récompensant les meilleurs jeux indépendants lors de l’Independent Games Festival, attirant par la même occasion l’attention de l’acteur Masi “Hiro Nakamura” Oka. Ce dernier, disposant de son propre studio, Mobius Digital, débauche alors l’équipe et planche sur une version finalisée du prototype. Quatre années de développement plus tard, après un financement participatif et un rachat d’investissement par l’éditeur Annapurna Interactive, Outer Wilds nous arrive enfin. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce premier jet tutoie littéralement les étoiles.
La tête dans les étoiles
Tout commence dans une galaxie fort lointaine, et plus précisément sur Âtrebois, paisible planète extra-terrestre verdoyante, où se réveille l’alien que l’on incarne. Aujourd’hui, nous dit-on, c’est le grand jour, celui de notre décollage en solitaire, ayant pour objectif l’exploration du système solaire et la compréhension des secrets qui entourent la disparition des Nomaï, une antique civilisation. Notre vaisseau n’attend que ses codes de lancement pour vrombir dans les étoiles. Après une rapide balade dans le village, faisant office de tutoriel permettant de s’accoutumer au maniement du personnage et de notre futur véhicule, nous atteignons l’observatoire où nous attend Cornée, détenteur des fameux codes. Une brève conversation plus tard et une fois le précieux sésame en poche, il est temps de retourner à la plate-forme de lancement de notre fusée. Mais sur le chemin, une mystérieuse statue s’anime, fixe notre avatar droit dans les yeux et nous projette une série d’étranges visions. Qu’à cela ne tienne, aucun trouble particulier n’étant à déplorer, le grand départ aura bien lieu. L’heure est venue de se propulser au firmament et d’aller jouer les archéologues galactiques au plus près des astres.
Nomaï Sky
Comme vous l’aurez donc probablement compris, Outer Wilds est un jeu d’exploration spatiale dans le sens le plus strict du terme, laissant au joueur une liberté de mouvement totale, et ce, dès le départ. Aucune balise, aucun marqueur qui clignote, aucun objectif de mission apparent ne vient perturber le joueur dans son aventure. Si sur le papier, ce parti-pris évoque forcément un No Man’s Sky et sa quête contemplative du centre de l’univers, les différences sont pourtant de taille. À commencer par leur boucle de gameplay, puisque là où le titre de Hello Games repose sur une progression basée sur des mécaniques de récolte de ressources et de craft, Mobius Digital préfère compter sur notre curiosité et nos capacités d’investigation et d’expérimentation et nous donner dès le départ tous les outils indispensables pour faire face à toutes les situations. Chaque échange significatif avec les personnages rencontrés, chaque document ancien déchiffré, chaque renseignement obtenu est immédiatement enregistré dans le journal de bord de notre vaisseau, répertoriant toutes les informations obtenues depuis le début du périple. La récolte de ces données s’avère cruciale dans la mesure où ce sont le plus souvent elles qui nous aiguillent vers de nouveaux lieux à explorer et nous poussent sans cesse à envisager une utilisation détournée de notre attirail ou de nouvelles méthodes pour tirer au mieux parti de notre environnement, afin de s’affranchir des nombreux périls qui paraissent insurmontables au début de l’aventure. Plus que jamais, c’est donc à chacun de se fixer ses propres objectifs et de laisser s’exprimer sa curiosité naturelle. Autre divergence, l’univers est ici amoureusement tissé à la main, sans aucun recours à la génération procédurale. En découle un terrain de jeu fatalement beaucoup moins vaste et aux proportions bien moins démesurées, mais beaucoup plus compact, dense et cohérent. Le premier décollage donne d’ailleurs le ton et l’on constatera vite que le diamètre de la dizaine de planètes disponibles est plutôt réduit et qu’il en va de même pour la distance qui les sépare les unes des autres. De la Terre à la Lune, il n’y a pour ainsi dire qu’un pas. Dans tes dents, Jules Vernes. Traverser la galaxie de part en part ne prend jamais plus d’une ou deux minutes, mais loin d’être une faiblesse, ce choix se révèle parfaitement cohérent et judicieux dans la mesure où quoi qu’il arrive, nous ne disposons que d’une vingtaine de minutes avant notre inéluctable fin.
22 minutes pour vivre
Parce que oui, petit détail important, comme le dit la prophétie d’Edmund McMillen, la fin est proche. Imminente, même, puisqu’à moins d’un coup de bol sidéral, elle survient inexorablement au bout de 22 minutes, après quoi, le soleil autour duquel gravite ce système format mini-pouce se transforme en une gigantesque supernova, vaporisant toute trace de vie aussi sûrement qu’un Bison 4 placé dans une fourmilière. Mais le trépas, quel qu’en soit la cause, n’a ici rien de définitif et a pour seule conséquence de nous transporter sur Âtrebois, au moment précis où l’on a débuté notre odyssée spatiale, non sans conserver souvenirs et entrées dans notre journal de bord. Et c’est à cet instant précis qu’Outer Wilds dévoile sa filiation avec un certain Majora’s Mask. Piégé dans cette boucle temporelle, on finit par se rendre compte qu’une quantité astronomique d’évènements se déroulent aux quatre coins de l’univers, et qu’il faudra un bon nombre d’itérations pour en démêler tous les mystères. Certaines planètes, pauvres en points d’intérêt en début de cycle se révèlent être de véritables mines d’or d’informations pour peu que l’on prenne le temps de leur rendre visite plus tard. Divers lieux ne sont également accessibles qu’à des moments précis. Là encore, jamais le jeu ne nous prend par la main, se contentant de nous suggérer plus que de nous révéler la méthodologie pour progresser. Outer Wilds regorge de ces moments d’épiphanie chargés de cette indescriptible satisfaction lorsque l’on finit par enfin comprendre comment abattre les murs qui entravaient jusqu’alors notre progression. Sentiment d’autant plus grisant que petit à petit, l’effeuillage de chacune des énigmes cosmiques finit par dessiner un ensemble laissant entrevoir des enjeux bien plus profonds que ce que l’on aurait pu soupçonner.
Space oddity
On pourrait continuer à parler des heures durant de toutes ces spécificités qui font du bébé de Mobius Digital une véritable pépite, mais même s’il propulse notre cerveau au firmament, il faut toutefois garder les pieds sur Terre et évoquer quelques points qui pourront poser problème à certains archéologues stellaires. À commencer par le maniement de notre coquille de noix de vaisseau qui exige un petit temps d’adaptation pour s’accoutumer à l’absence de gravité. Rien de catastrophique, mais les plus impatients auront assurément du grain à moudre. Manette chaudement recommandée, y compris sur PC. Ensuite, difficile de ne pas évoquer cette fameuse mécanique de cycles qui pourra diviser. Si paradoxalement, le compte à rebours fatidique à l’élégance de ne jamais (ou si rarement) nous faire éprouver une quelconque notion d’urgence ou de stress dans notre découverte des secrets astraux, la répétition, elle, peut se faire ressentir plus franchement. En effet, pour peu que l’on n’ait pas toutes les clés ou qu’on les ait mal interprétées, certaines énigmes, plus cryptiques ou plus vicieuses que les autres peuvent très ponctuellement exiger de multiples tentatives et autres tâtonnements, amenant forcément une certaine forme de redondance et/ou de frustration. Enfin, dernier point de discorde potentiel, la partie technique du titre, hormis son moteur physique irréprochable, n’est pas forcément toujours des plus reluisantes. Sans nier la réussite globale sur le plan artistique, donnant régulièrement l’occasion d’admirer de magnifiques panoramas spatiaux soulignés par une bande-son très à-propos et toute en retenue, difficile de ne pas admettre que l’ensemble reste visuellement d’assez simple facture. Les textures, animations et modélisations sont épurées et quelques saccades parfois incompréhensibles ne manqueront pas de faire tiquer les Jean-Framerate qui sommeillent en chacun de nous.
Conclusion
Parler d’Outer Wilds peut se résumer à un véritable numéro d’équilibriste, tant il est délicat d’entrer dans les détails sans gâcher précisément tout ce qui en fait le sel. Aussi, nous nous contenterons de résumer en quelques mots. Outer Wilds est une véritable ode à l’espace, à l’exploration et à la curiosité, nous invitant en permanence à l’aventure, la vraie, à bord de notre frêle esquif spatial. Rarement un jeu n’aura autant parlé à l’enfant rêveur que nous avons tous été face à l’infinité du cosmos et dont l’imaginaire a été alimenté par de Saint Exupéry, Jules Vernes et autres Ray Bradbury. Malgré quelques rares écueils, le titre s’avère d’une intelligence rare et inspire le respect de par sa maîtrise de bout en bout. Plonger dans Outer Wilds, c’est avoir la garantie d’une expérience riche en émotions, surprises et émerveillements sincères face aux joyaux que recèlent l’univers. Comme quoi, le bonheur est parfois aussi simple qu’une guimauve grillée au coin d’un feu de camp.
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