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Article réalisé à partir d’une clé Switch fournie par PLAION.

Initialement paru au Japon en 2021, Process of Elimination, des studios Nippon Ichi Software débarque aujourd’hui en Europe. D’un point de vue occidental, leur production est surtout connue pour sa longue dynastie de jeux de rôle et de Tactical RPG, pour la plupart pourvus d’un sérieux pète au casque. La surprise est donc totale de voir les géniteurs de Disgaea débarquer avec un Adventure Game (un VN avec du gameplay) dans sa besace. D’autant plus que le genre n’est pas vraiment l’un des plus porteurs sur le vieux continent. Ils ne devaient pas savoir que se lancer à l’assaut du marché européen du Roman Graphique serait, au mieux, compliqué, alors ils l’ont fait. Exit, les loli à cornes et les anges psychopathes, et bonjour les détectives, les meurtres sordides et sanglants et la terreur du huis-clos mortel. Un changement de cap brutal, même si la grammaire du genre est désormais bien connue et que les sources d’inspirations du studio sont largement assez nombreuses pour baliser le chemin. Process of Elimination parvient-il à se distinguer suffisamment de ses inspirations pour proposer une expérience palpitante ?

Enquête de soi

Dans Process of Elimination, le joueur incarne Wato Hojo, un lycéen féru d’enquêtes. Son désir le plus ardent : devenir un détective talentueux et réputé, digne d’intégrer la prestigieuse Detective Alliance. Constituée du fleuron des détectives internationaux, l’association lutte dans l’ombre contre le Quartering Duke, le plus grand meurtrier de masse resté impuni depuis une décennie. Mais les motivations du jeune homme sont plus personnelles qu’elles en ont l’air. Il est lui-même le seul rescapé d’un massacre orchestré il y a dix ans par le fameux assassin. Resté partiellement amnésique, Wato cherche désormais des réponses. La surprise est totale pour lui quand, un soir au retour de classe, il se fait recruter de force par la DA, qui l’expédie sans sommation (assommé dans un caisson métallique) sur l’île de Morgue. Seules informations concrètes, une réunion visant à établir un plan d’action contre le Quartering Duke doit y avoir lieu et sa participation est hautement souhaitée par les hautes sphères. Mais lorsqu’il reprend connaissance sur l’île, pourtant, rien ne se passe comme il l’imaginait. Aux oubliettes la petite réunion café-croissants pépouze. Aux côtés de treize autres détectives de l’association, Wato est contraint de prendre part à un Death Game que son ennemi juré à méticuleusement préparé pour eux. Et comme si la situation n’était pas déjà assez critique, Wato doit également découvrir l’identité du criminel, qui se cache bien évidemment sous les traits de l’un de ses nouveaux collègues aux personnalités hautes en couleur.

Crime and Punishment

Le premier titre qui vient à l’esprit quand on lit le synopsis de Process of Elimination est bien évidemment Danganronpa, et pour cause. Prédominance Visual Novel, galerie de personnages stéréotypés excentriques, huis-clos coupé du monde, paranoïa, morts brutales et mystère haletant, tous les ingrédients répondent scrupuleusement à l’appel. Le titre pousse d’ailleurs le vice à affubler ses personnages de sobriquets, marqueurs de leur personnalité et de leur spécialité. Techie est l’expert en technologies, Bookworm s’exprime comme si elle narrait ses aventures à la troisième personne, Renegade est un détective psychopathe à tendances homicidaires… et Wato le novice se voit affublé du glorieux surnom d’Incompetent. Contrairement à son modèle, toutefois, le titre de NIS ne s’encombre pas de phases d’explorations et déroule son intrigue au fil des dialogues et de quelques rares prises de décisions. Mais il ne se contente pas de ponctuer son récit de meurtres et s’autorise quelques phases de gameplay originales entre deux tunnels narratifs. Il fallait bien que le studio nippon parvienne à glisser un peu de Tactical RPG quelque part, et c’est justement sous cette forme qu’interviennent les phases d’investigation. Lorsque survient un meurtre, les quatorze ultimates détectives prennent part à l’enquête, mais leur caractère excentrique les pousse à travailler en solo. Wato, malgré son sobriquet  pas très glorieux, hérite donc de la lourde tâche de coordonner leurs efforts pour mettre la main sur tous les éléments nécessaires à la résolution du mystère.

Ils étaient quatorze

Manette en mains, les habitués des productions de Nippon Ichi ne seront pas déboussolés durant les investigations de Process of Elimination. Les enquêtes prennent la forme d’un TRPG à la Disgaea, avec sa caméra en vue isométrique permettant au joueur de déplacer ses personnages sur un damier. Chaque carte est parsemée de Mystery Points et d’Evidence Squares, pas toujours accessibles d’entrée de jeu. Pour pouvoir les exploiter, il faut d’abord récolter et analyser les bonnes pièces à conviction. Mais il ne suffit pas d’envoyer un détective effectuer la bonne action au bon endroit. Chaque personnage est doté de ses statistiques propres dans cinq domaines (Inference, Analysation, Inspection, Assistance et Movement) et les points d’intérêt s’accompagnent d’un marqueur de points qui doit être réduit à zéro. Évidemment, même les compétences des plus spécialisés ne suffisent pas toujours. Il est certes possible de consacrer plusieurs tours aux tâches les plus ardues, mais la menace du Quartering Duke plane, au travers de nombreux pièges mortels et, surtout, d’une limite de temps qui interdit l’inefficacité. Laisser ses troupes n’en faire qu’à leur tête est donc invariablement synonyme d’échec. C’est au joueur qu’il revient de ré-orchestrer cette cacophonie de talents et d’optimiser les efforts du groupe. Assez accessibles de prime abord, les enquêtes plus avancées savent se montrer parfois retorses en multipliant les pièges et les fausses pistes. Autant dire que parvenir à ses fins demande parfois quelques tâtonnements. Une fois l’enquête bouclée, c’est l’heure de tirer des conclusions et désigner un coupable. Rien d’ébouriffant ici, on part sur une formule classique, à base de QCM et de jauge de confiance. Simple, basique.

“C’est une vraie boucherie là dedans”

Doté de phases d’enquête plutôt originales, Process of Elimination semble donc avoir, sur le papier, de quoi convaincre les amateurs de mystères à la recherche d’expériences inédites. Mais qu’en est-il du nerf de la guerre pour un Visual Novel : son écriture ? Tout d’abord, il faut bien noter que le titre n’est disponible qu’en anglais, et demande un bon niveau de langue. Ensuite, en un mot comme en cent, si le synopsis de départ s’avère accrocheur, le titre tend à se dissoudre lui-même dans ses influences. La narration se noie dans des situations déjà vues ailleurs et enchaîne des twists pas toujours bien amenés et souvent prévisibles. Certes, les personnages sont attachants, jouissent d’un beau travail abattu côté Voice Acting et proposent une dynamique de groupe intéressante. Mais ils finissent hélas par écumer les poncifs du genre. En outre, l’écriture prend un malin plaisir à forcer sur l’humour au mauvais moment, gâchant fréquemment l’impact de certaines scènes. Et, sans trop en dire, la touche de fantastique qui habille le récit apporte fatalement son lot de dissonances et d’incohérences. Pas de quoi décourager les amateurs jusque-là, mais c’est sans compter sur le problème de rythme qui ternit toute la première moitié de l’enquête. Dommage de devoir autant s’accrocher, alors que le récit propose un belle montée en puissance sur sa seconde partie et que l’aspect whodunnit donne malgré tout envie de connaître le fin mot de l’histoire. Côté artistique, le titre s’avère plutôt solide malgré quelques couacs, avec des musiques sympathiques, au diapason des situations, et un character design soigné, créant d’ailleurs un contraste avec des décors en déficit de personnalité. Enfin, les phases d’enquête, attrayantes au début, peinent à conserver leur lustre sur le long terme, et donnent finalement plus le sentiment d’être spectateur du mystère qu’acteur de sa résolution. 

Conclusion

Malgré ses défauts parfois décourageants, on se gardera bien de considérer Process of Elimination comme un jeu fondamentalement mauvais. Et c’est sans doute ça le plus rageant avec le dernier né de chez Nippon Ichi Software. À chaque qualité, à chaque bonne idée son contrepoint qui vient troubler la fête pour un résultat final qui souffle le chaud et le froid. Le titre est clairement travaillé sur sa narration et sur ses personnages, non sans maladresses. L’écriture, pourtant qualitative, s’embourbe dans de trop nombreux emprunts et ne décolle qu’après pas loin d’une dizaine d’heures. On propose au joueur un gameplay original, mais ces phases peinent à engager sur le long terme. En résulte un jeu déséquilibré, qui essaye d’imiter les grands à sa manière (et le fait parfois bien), mais qui ne parvient que trop rarement à aller au bout de ses ambitions. Dommage, parce que Process of Elimination n’est vraiment pas dénué de bonnes idées et dispose de bases intéressantes. Déjà de quoi donner -à juste titre- du grain à moudre aux aficionados capables de composer avec des imperfections un peu trop nombreuses. Qui sait, peut-être aura-t-on droit à une suite qui prolongerait l’expérience tout en en gommant les tares ? En tout cas, on croise les doigts.

 

Pour aller plus loin – Test de Process of Elimination par Actua

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Trailer du jeu :