Article réalisé à partir d’une clé PS5 fournie par PLAION.
20 ans. Voilà deux décennies que la saga The Legend of Heroes n’en finit plus d’étendre ses ramifications à travers le continent de Zemuria, théâtre d’un nombre désormais impressionnant de conflits, conspirations, moments de bravoure, coffres blagueurs (petits anges partis trop tôt) et autres barrières. Après le royaume de Liberl, la cité-état de Crossbell et l’empire d’Erebonia, Falcom s’attaque aujourd’hui à la république de Calvard, pays situé à l’est de l’Empire et resté plutôt discret jusqu’à il y a peu. Dire qu’on a failli attendre Trails through Daybreak est un doux euphémisme, sachant que ce nouveau volet, le onzième, de l’immense fresque épique du studio nippon aura mis deux ans pour sortir sous nos latitudes. Rien de plus logique quand on connaît le goût de la franchise pour la géopolitique, le développement verbeux et dense et les tunnels narratifs en veux tu en voilà. D’aussi gros pavés de texte, ça en fait des heures de localisation. Mais la patience n’est désormais qu’une lointaine rêverie : le Trails nouveau est désormais entre nos petites mimines fébriles, qui ne demandent qu’à retourner se casser les dents (si, ça se peut) sur des gros boss énervés dès le prologue. Avec son moteur flambant neuf, un nouveau cycle plein de promesses s’apprête à débuter. Les aventures de Van le spriggan ont-elles les arguments pour convaincre à la fois les fans et les nouveaux venus ?
Van Arkride, Arkride Solutions
Van Arkride, protagoniste de Trails through Daybreak, est un spriggan. Auto-entrepreneur et homme à tout faire, il propose ses services à ceux qui rencontrent un problème qu’ils ne peuvent confier ni aux forces de l’ordre ni à la guilde des Bracers. S’il travaille le plus souvent pour des particuliers qui souhaitent rester discrets, il lui arrive parfois d’accepter des requêtes plus douteuses pour le compte de la pègre. En tout cas, quand le contrat semble juteux et aligné avec son propre code moral. Du haut de son âge “vénérable” (selon certains) de 24 ans, Van vit ainsi une existence solitaire et marginale, oscillant entre blanc et noir au gré des humeurs. Son temps, il le partage entre son job, son amour absolu pour sa voiture et son goût immodéré pour les punchlines cyniques, les sucreries et les sources chaudes. En bon roublard, Van semble connaître tout et tout le monde. Et sa notoriété n’est pas en reste, que ce soit pour ses compétences d’investigateur, ses talents de combattant ou ses méthodes qui fricotent avec les frontières de la légalité. C’est dans un Calvard en pleine révolution économique et technologique que Van fait la rencontre d’Agnès Claudel, une jeune étudiante qui franchit sa porte pour lui confier un travail. La jeune fille souhaite retrouver une horloge antique ayant appartenu à sa grand-mère. En acceptant sa requête, Van est loin de réaliser qu’il se lance sur les traces des Geneses, huit mystérieux dispositifs aux étranges capacités, supposés pouvoir éviter un événement funeste une fois réunis. Et évidemment, quand on parle d’objets occultes et puissants, les conspirations, magouilles politiques et personnages louches ne sont jamais bien loin.
See you in 1208
Commençons immédiatement par crever l’abcès : oui, Trails through Daybreak est un tout nouvel arc narratif et un nouveau point de départ pour la franchise. En tant que tel, il s’agit certainement de la meilleure porte d’entrée possible pour les nouveaux venus. Si Falcom nous a longtemps habitués à une série qui repose sur ses nombreux liens entre les épisodes, qui laissaient clairement les nouveaux venus sur le carreau, ce nouvel opus à Calvard entend redistribuer les cartes. Temporellement, d’une part, puisque le titre se déroule un an et demi après Trails into Reverie dans un tout nouveau cadre, régulièrement évoqué mais jamais vraiment dévoilé auparavant. Le casting est lui aussi totalement neuf, et si quelques têtes connues croisent le chemin de l’équipe de temps à autre, ce ne sont jamais que des invités temporaires au mieux. Enfin, même si les événements dépeints dans Daybreak font écho à d’autres situations du passé, le jeu se contente la plupart du temps de clins d’œil et s’en tient à dérouler son propre fil narratif sans trop d’intrusions du monde extérieur. Pas question pour autant d’être, comme Cold Steel 1 en son temps, une immense introduction avec un “gros cliffhanger de chakal” comme on dit dans le jargon. Les moments de bravoure, les thématiques et séquences dramatiques sont bien au rendez-vous, avec une tonalité à l’image de son protagoniste : plus sombre et adulte. Finis les festivals de lycée et les discours candides sur l’importance des liens. Bonjour la pègre, la vie nocturne, et les conflits raciaux.
Pour la république
Côté structure, Trails through Daybreak emprunte beaucoup à l’arc Crossbell. Toutes proportions gardées bien sûr, la république étant plus vaste que l’état indépendant. À l’instar de la SSS, on suit le quotidien de l’agence Arkride Solutions au gré des tâches qui lui sont confiées. En résulte une aventure totalement linéaire, découpée en arcs narratifs menant les membres de l’agence aux quatre coins du pays. Si Edith, la capitale, est l’endroit où Van sévit la plupart du temps, les requêtes (appelées ici “4SPG”, “For Spriggan”) appellent le groupe vers d’autres lieux plus exotiques pour mener l’enquête. Qu’il s’agisse de retrouver un chat perdu ou d’assurer la sécurité d’un festival de cinéma, Van a du pain sur la planche partout où il passe. Et il n’est pas question de chômer, puisque comme d’habitude, les quêtes annexes disparaissent lorsque le joueur fait progresser l’histoire en résolvant une quête principale. Petite nuance par rapport à la SSS, qui suit résolument le chemin de la vertu, l’esprit libre du spriggan donne au joueur de nombreuses occasions d’ajouter son grain de sel au récit. Ces prises de décision impactent à la fois la résolution des investigations ainsi que l’alignement de Van (le système LGC, pour Law, Gray et Chaos). À la clé, quelques bénéfices d’un point de vue gameplay mais surtout, un éventail d’options plus large concernant un choix narratif durant le dernier quart de l’aventure. Le scénario ne s’en retrouve pas chamboulé, mais on apprécie toujours une petite sucrerie permettant d’épaissir divers pans du lore.
“Elle coupe, au moins, son épée ?”
S’appuyant sur une structure qui a fait ses preuves, Trails through Daybreak s’avère plus aventureux sur son segment combat. Un nouveau moteur, ça sert aussi à ça. Nouveauté la plus visible, le Field Battle Mode permet de bourrer les mobs directement durant l’exploration. L’action-RPG n’annule et remplace pas pour autant vingt ans de tour par tour et opère plutôt une fusion des genres. En temps réel, les dégâts infligés sont limités et les possibilités stratégiques sont maigres. Attaque simple, lourde, esquive et c’est tout. Un mode qui se destine donc plus à l’éradication des sous-fifres. Pour les opposants plus sérieux, il est préférable de déployer les shards, signant le basculement vers le tour par tour, si possible quand un maximum d’ennemis est étourdi pour gratter des bonus juteux. On débarque alors sur un terrain familier, même si on dénote une volonté d’en revenir aux fondamentaux. Après un Reverie qui n’a épargné aucune surenchère au joueur, BP et Assault Jauge ont été privés de visa pour Calvard. Restent les Arts (magies offensives et défensives) à incanter avec ses Energy Points et les Crafts et S-Crafts (capacités exclusives aux personnages) qui puisent dans les Craft Points. Les S-Crafts ne coûtent désormais plus que 100 CP mais consomment également la nouvelle jauge de S-Boost. L’impact est marginal et le spam toujours délicieusement éhonté. L’autre gros changement, c’est l’accent mis sur le positionnement. Se mouvoir n’est plus une action à part entière, chaque personnage se déplace dans une zone circulaire avant d’agir. La proximité d’un allié garantit une attaque SCLM (remplaçante des Links) ou un bonus passif, et certains Crafts sont renforcés si exécutés sur des monstres de profil ou de dos. Enfin, pour remplacer les combats aux commandes de Valimar, Daybreak met en scène de spectaculaires transformations en Grendel, concluant le plus souvent un chapitre dans un feu d’artifice.
Falcom Punch
Qui veut bastonner fort bichonne son matériel. Trails through Daybreak, comme ses aînés, fait de la gestion de l’équipe une composante primordiale pour survivre face aux boss capables d’éclater un groupe mal préparé en deux pied-bouche. Sur le papier, on ne change pas fondamentalement une équipe qui gagne, avec un système d’Orbments à sertir pour personnaliser ses troupes. Bye bye, Arcus : à Calvard, on utilise le système Xipha. Si le principe est le même, la technologie républicaine met l’empire à l’amende et termes de possibilités. Les Master Quartz sont remplacés par les Holo Cores, aux effets différents de leurs homologues éréboniens. Ils ne définissent plus les skills de base d’un personnage, mais lui attribuent des bonus pour orienter son build (boost de dégâts magiques, EP bonus et diverses augmentations statistiques). Les Arts dépendent désormais des Drivers, fournissant à leur utilisateur un panel fixe de sorts. De plus, les Drivers sont dotés d’emplacements accueillant les plug-ins, essentiels pour aller gratter quelques Arts en dehors de leur set. Enfin, les quartz sont quant à eux relégués au rang de bonus passifs, mais bénéficient aussi d’une refonte. Doté de plus nombreux emplacements de quartz que le système Arcus, le Xipha se divise en lignes. Y équiper les précieuses gemmes déverrouille divers bonus cachés (dégâts élémentaires sur la ligne d’arme, résistances aux altérations sur la ligne de défense, etc) selon les éléments des quartz associés. Autre petite nouveauté, les armes sont désormais personnalisables avec des pièces détachées boostant leurs statistiques. En résumé, Trails through Daybreak renouvelle la formule sans rien trahir des codes de sa lignée et accouche d’un système riche, racé et toujours aussi gratifiant.
Calvard n’est pas calvaire
À lui seul, le gameplay ciselé de Trails through Daybreak lui permet déjà de tenir la route. Mais ce serait un manque de respect que de ne pas évoquer d’autres de ses qualités. Son nouveau moteur, tout d’abord, au vu de l’impact significatif qui en découle sur les performances et l’esthétique du jeu. Le retard technique sur la concurrence reste évident, AA oblige, mais difficile de ne pas constater le chemin parcouru depuis Cold Steel. Daybreak est de loin le Trails le plus agréable à l’œil, avec sa direction artistique médiévalo-futuriste d’inspiration européenne plus détaillée et vivante que jamais. Comble du luxe, on peut même apercevoir les balbutiements d’un éclairage dynamique et pas mal d’efforts consentis sur la mise en scène. Côté enrobage sonore, que dire si ce n’est que la Sound Team JDK fait preuve d’une constance toujours aussi insolente ? Cloudy Cloudy, mon amour. Autre petite touche d’ambroisie ludique, l’interface traditionnelle fait ici peau neuve. Quelques errances sont à prévoir le temps de retrouver ses marques, puis tout baigne dans l’huile une fois rôdé. Mais la grande force de Daybreak reste son écriture. Que l’on parle de sa géopolitique, de la cohérence de la société qu’il dépeint, de ses twists efficaces ou encore du soin accordé aux personnages qui émaillent le récit, c’est carton plein. Antagonistes menaçants, groupe à l’alchimie palpable (Van, Elaine, Judith et Aaron ces GOAT), tonalité adulte servie par un protagoniste qui tranche avec l’optimisme d’Estelle, Lloyd et Rean, les ingrédients de la réussite sont au rendez-vous. Et pour ne rien gâcher le casting vocal est juste intouchable aussi bien en anglais qu’en japonais. Mais surtout en japonais. Takaya “Kiryu-chan” Kuroda, excusez du peu !
Endosser le Cauchemar
Évidemment, aucun jeu n’est parfait. Même si Trails through Daybreak est une nouvelle entrée particulièrement solide dans une longue série de RPG d’exception, il n’en reste pas moins un jeu qui ne conviendra pas à tous. Premier point de friction, le titre s’avère EXTRÊMEMENT verbeux. Le worldbuilding (exceptionnel) de la franchise a toujours reposé sur ses tunnels narratifs et dialogues particulièrement longs, et Daybreak ne déroge pas à la règle. La problématique est double puisque le titre n’est, cette fois encore, pas localisé en français. Les amoureux des mondes ouverts et de la flânerie en général risquent de ne pas y trouver leur compte également, puisque l’aventure est résolument linéaire en plus d’être rigide du côté de ses intrigues secondaires. La possibilité de passer à côté d’une quête ne manquera pas d’angoisser ceux qui préfèrent les jeux plus adaptatifs. Et il ne faut pas trop compter sur les activités annexes pour souffler, puisqu’elles brillent surtout par leur absence. Pas de mini-jeux, pas de romance (même si on garde une notion de lien social), même pas de pêche ! Le bon côté, c’est qu’on nous épargne le trauma d’une partie de POM! POM! PARTY! avec Altina ou de Vantage Master contre Victor Arseid. Ouf. Autre point fâcheux habituel pour la franchise, le système Xipha, d’une richesse impressionnante, manque encore cruellement de pédagogie. On a juste droit à quelques tutos textuels évasifs et c’est marre. “Testez des trucs, vous verrez tout de suite si ça ne fonctionne pas”. Dans la même rubrique, la nouvelle interface allégée reste perfectible : devoir appuyer sur un bouton de tranche pour afficher l’ordre des tours durant les combats, quelle super idée (pas du tout) ! Et difficile de ne pas regretter le manque de possibilités des combats en temps réel, principalement à cause des ennemis aux patterns inexistants.
Conclusion :
Pour ce nouveau chapitre de la saga The Legend of Heroes, Trails through Daybreak est une excellente proposition à bien des égards. Doté d’un nouveau système profond et à la fluidité exemplaire, d’une narration alambiquée qui donne envie d’en savoir toujours plus et d’une galerie de personnages haute en couleurs et instantanément attachante, Daybreak est bien le renouveau tant attendu pour la franchise. Cerise sur le gâteau, ce nouvel épisode est une véritable main tendue aux nouveaux venus, proposant des enjeux suffisamment distincts pour rester compréhensibles de A à Z même sans avoir écumé le reste de la saga. Et il ne s’agit pas non plus d’une immense introduction de luxe, puisqu’il propose déjà en soi une conclusion satisfaisante, bien que laissant quelques questions en suspens, sinon ça serait moins marrant. Quelques erreurs de jeunesse subsistent, comme la grande redondance des combats en temps réel et le manque de variété entre deux enquêtes. On retrouve également quelques problématiques historiques de la franchise, comme le manque de pédagogie de ses systèmes. Mais pour le reste Daybreak est une franche réussite qui ravira les amoureux d’optimisation, d’univers attrayants et d’intrigues politiques crédibles et complexes. On attend désormais avec impatience la suite des aventures de Van et de sa troupe qui viendra, on l’espère, apporter les derniers ajustements nécessaires pour rendre la nouvelle formule irréprochable. Heureusement, le spriggan aura le bon goût de donner de ses nouvelles très prochainement, puisque la localisation du second volet calvardien est dores et déjà planifiée pour début 2025.
Pour aller plus loin – Test de The Legend of Heroes : Trails through Daybreak par Actua
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