Article réalisé à partir d’une copie physique PS4 fournie par PLAION.
Comme nous l’avions vu lors de notre avis sur Trails to Azure (jouez-y), la franchise Legend of Heroes n’a pas toujours été cette immense épopée constituée d’opus tous interconnectés. La saga du studio Nihon Falcom étend ses racines jusqu’en 1989, où elle n’était alors qu’une série plus classique de JRPG en tour par tour. C’est en 2004, qu’elle a réellement trouvé sa marque de fabrique, avec Trails in the Sky, premier arc narratif qui s’ouvrait ensuite sur une aventure à l’échelle d’un continent entier. La géopolitique, les forces du Chaos œuvrant dans l’ombre des contrées de Liberl, Crossbell et d’Erebonia ont toujours été l’apanage de la franchise, ainsi qu’un terreau fertile lorsqu’il s’agit de faire interagir (et intervenir) les natifs de chaque pays pour lutter contre le Mal. Près de vingt ans et désormais dix jeux plus tard, les ramifications de la franchise se sont étendues considérablement, constituant un socle commun aussi prolifique que vertigineux. Opus de transition entre deux ères, Trails into Reverie fait office de point de pivot chargé à la fois de conclure certains segments narratifs et d’en amorcer d’autres. De quoi redouter une certaine dispersion narrative. Pari réussi, ou simple rêve avorté ?
Chérie, devine Kiseki vient dîner ?
Comme de coutume, pour mieux s’y retrouver dans les intrications politiques et personnelles de Legend of Heroes, commençons tout d’abord par répondre à la question suivante : où se situe chronologiquement Trails into Reverie parmi près de deux décennies de titres ? En un mot comme en cent, ce nouvel opus se situe en toute fin de cycle. C’est à lui que revient la lourde tâche de conclure les (très) nombreux arcs narratifs initiés depuis Trails in the Sky premier du nom, enrichis depuis par les six chapitres de Crossbell et d’Erebonia. Une sorte de triple conclusion, doublée d’un épilogue, faisant également office d’amorce à Kuro no Kiseki, le prochain épisode et première vraie fenêtre ouverte sur ce qu’il se passe dans le pays de Calvard. Autant dire que Trails into Reverie n’est clairement pas la meilleure porte d’entrée dans la franchise. Certes, Falcom consent à quelques efforts au niveau des habituels résumés des opus du passé disponibles dans chaque titre de la série. Mais s’ils s’avèrent plus complets qu’auparavant, condenser efficacement une tel imbroglio d’évènements et de relations en quelques pages n’est pas une mince affaire. À moins de vouloir se priver d’une quantité gargantuesque de liens et de références, apportant tout leur sel à de nombreux segments narratifs, il est plutôt conseillé de s’orienter vers un épisode précédent. Alors oui, on peut pester sur ce manque d’accessibilité pour les nouveaux venus. Mais c’est à ce prix que Falcom parvient à entretenir, au fil des ans, une proposition aussi unique qu’alléchante. Quant à savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise chose, à chacun de se faire son avis.
Independance Day
Opus de conclusion oblige, les événements narrés dans Trails into Reverie prennent place six mois après la conclusion de Cold Steel IV. Le chaos généré par le Great Twilight commence enfin à retomber, et même si nos héros ont encore du pain sur la planche, le quotidien paisible reprend peu à peu ses droits. Plus rien ne semble désormais entraver la paix entre les nations, ni même empêcher l’État autonome de Crossbell d’obtenir enfin une liberté pérenne et bien méritée. Pourtant, tout va basculer une nouvelle fois lorsque Rufus Albarea, ancien antagoniste de la classe VII supposé être écroué pour ses crimes passés, fait irruption durant la cérémonie de déclaration d’indépendance. Et le bougre n’est clairement pas là pour la courtoisie, puisqu’en guise de fleurs et de félicitations, monsieur débarque avec un groupuscule terroriste, se proclame Leader Suprême et manifeste sa ferme intention d’unifier tout le continent de Zemuria. Complètement dépassés, Lloyd Bannings et ses camarades de la Special Support Section essuient une cuisante défaite et plient face au tyran. Contraints de se séparer dans l’urgence de la fuite, les membres du groupe se mettent chacun à la recherche de leurs anciens alliés de Liberl et d’Erebonia. De son côté, la classe VII est loin de se tourner les pouces, puisque le Courageous II, l’aéronef du Prince Olivert Reise Arnor parti récemment en Lune de Miel, est porté disparu. Un mystérieux individu masqué, répondant au pseudonyme de C, revendique la responsabilité de l’enlèvement tout en promettant d’autres événements fâcheux à venir. Intrigués par l’apparence et le nom utilisé par le terroriste qui leur rappellent de funestes souvenirs, Rean Schwarzer et son groupe entreprennent de tirer l’affaire au clair.
Chacun sa route, chacun son chemin
Déjà largement amorcée dans les précédents opus, et ayant atteint un point culminant assez véner’ dans Cold Steel IV, la collaboration entre les protagonistes de la franchise prend une nouvelle dimension dans Trails into Reverie. Cette fois, ce sont non pas une mais trois trames narratives que le joueur doit parcourir pour avoir le fin mot de l’histoire. Chaque route se focalise sur un groupe, avec chacun ses préoccupations et son leader (Lloyd, Rean et le mystérieux C – RIP Liberl -). Et bien évidemment, les trajectoires s’entrechoquent à certains moments clés, pour le meilleur ou pour le pire. L’aventure s’articule autour d’un système moins linéaire qu’à l’accoutumée, intitulé Trails to Walk, permettant au joueur de passer d’une ligne narrative à l’autre à tout moment. Bien sûr, cette liberté n’est que relative, puisqu’il faut ponctuellement faire progresser les intrigues des uns pour débloquer la suite de l’épopée des autres. Et quand les collaborations se font plus étroites, les transitions sont d’autant plus fréquentes. Ces destins entremêlés procurent à Reverie un rythme plus soutenu, d’autant que les révélations, instants de bravoure et moments touchants ne mettent pas longtemps à pleuvoir. Cerise sur le Very Berry Parfait, la narration évite de partir dans tous les sens, esquivant quelques errances des anciens épisodes. Bien sûr, les tunnels narratifs, les expositions un brin lourdingues et la relative naïveté ambiante sont toujours d’actualité. Mais l’écriture compense par sa qualité, sa capacité à mettre en scène une géopolitique plausible et des interactions riches entre personnages. Et ce ne sont pas les nouvelles additions au casting, intégrées à la route de C, qui viennent gâcher la fête, tant chacune s’avère attachante et s’intègre sans difficulté à la dynamique existante.
On prend les mêmes et on recommence
Trails into Reverie est, comme ses prédécesseurs, un J-RPG en tour par tour, reposant depuis 2004 sur des mécaniques qui n’ont cessé de s’enrichir au fil des épisodes. Après dix jeux à bichonner leur système, Falcom accouche d’une nouvelle version qui se propulse directement comme leur Magnum Opus. Reverie hérite sans trop de surprise des fondamentaux de Cold Steel IV, encore lui, avec sa gestion de trois ressources principales. Les vétérans connaissent la chanson : Energy Points pour incanter les Arts offensifs et défensifs (les magies), Craft Points pour déclencher les Crafts et S-Crafts, puissantes capacités exclusives à chaque personnage, et Brave Points dédiés aux Ordres, des buffs de groupe, ou aux attaques conjointes en cas de garde adverse brisée. Peu d’ajouts réels aux combats, hormis les changements apportés à l’Assault Gauge autorisant désormais l’action coordonnée de tous les membres du groupe, réserve comprise. Rien de plus réjouissant que de retourner une situation tendue en envoyant la troupe entière ravager les rangs ennemis ou soigner tout le monde. Des nouveautés assez maigres, ce qui n’empêche pas Trails into Reverie de proposer une expérience plus riche que jamais, Falcom ayant opéré une levée des anciennes limitations. Les Master Quartz montent désormais au niveau quinze, les emplacements du système Arcus passent au rang maximal de 3 avec tout ce que ça sous entend de nouveaux quartz toujours plus sales pour personnaliser son escouade, … Et l’équipement n’est pas en reste. Bref, un monde nouveau s’ouvre aux theorycrafters fous, qui trouveront dans Reverie un Disgaea du JRPG, à même de leur permettre d’assouvir leurs penchants pour les gros chiffres et les challenges dantesques.
Sweet Dreams (are made of this)
Si la folie des grandeurs a atteint Trails into Reverie, le petit dernier de la franchise n’oublie pas de donner aux joueurs avides de stats les moyens de leurs ambitions. C’est là qu’intervient le True Reverie Corridor, véritable Salle du Temps™ de ce nouvel opus. Ce mystérieux dédale coupé du monde, sorte de version évoluée de son aîné de Cold Steel II, est constitué d’une multitude de strates générées aléatoirement. Chacune s’avère copieusement garnie de créatures belliqueuses, de pièges et d’objets rares. L’ascension du Reverie Corridor est donc toute indiquée pour renforcer efficacement ses personnages favoris, quitte à boucler sur les étages pour grind toujours plus fort. La nature aléatoire des lieux ne s’arrête pas à cette génération procédurale, puisqu’ils accueillent en leur sein un système de gacha, très simple et sans aucun argent réel (rangez les fourches). Chaque ennemi puissant abattu dans les méandres du TRC est l’occasion d’obtenir un orbe coloré, monnaie d’échange servant à débloquer mini-jeux, segments narratifs inédits (les Daydreams), nouveaux personnages et autres objets précieux. L’endroit propose également son propre système de quêtes annexes au travers des Master Missions. La monnaie obtenue en récompense de ces mini-quêtes permettant d’acquérir de nombreux boosts significatifs, les joueurs avides d’efficacité ont tout intérêt de se pencher sur leur sujet. Déjà complet en tant que simple hub à activités et zone de farm, le True Reverie Corridor se paye le luxe de s’intégrer pleinement à la narration du jeu. Mieux, il s’autorise même une sacrée montée en puissance des révélations en post-game. Bref, une véritable drogue dure qu’il est bien difficile de lâcher une fois le doigt mis sérieusement dans l’un de ses engrenages.
L’aventure avec un double A
S’il a mis les petits plats dans les grands du côté du contenu et tout bouquet final narratif soit-il, Trails into Reverie n’en reste pas moins une production Nihon Falcom. Pas question, donc, d’espérer un visuel au goût du jour, voire même au goût de la génération précédente. Un retard technique qui n’empêche pourtant pas le framerate de toussoter à certains endroits plus chargés. Bref, dire qu’on attendait Reverie sur son volet technique relève de la science-fiction. Il y a tout de même eu du progrès, et le titre propose désormais quelques séquences de combat animées avec le moteur du jeu et moins statiques que de coutume. Pour le reste, les fans le savent très bien, on retrouve les mêmes environnements un brin austères des opus 3D récents, la plupart du temps au pixel près. Heureusement, Falcom s’est fait expert en trompe-l’oeil et parvient à faire vivre son univers au travers des myriades de petites histoires et relations qui servent de ciment à l’ensemble, jusqu’au PNJ le plus insignifiant. Des lieux connus deviennent justement intéressants à parcourir parce que leurs habitants ont eux aussi vécu les événements passés et ne sont jamais avares de commentaires sur l’actualité. Mais heureusement, une direction artistique, ce n’est pas qu’un visuel. Et comme toujours pour le studio japonais, qu’il s’agisse du character design ou de l’enrobage sonore, le niveau est excellent. La JDK a encore frappé, et propose une partition mémorable, bien qu’un peu en deçà d’un Cold Steel IV. A noter, d’ailleurs, le réemploi de certaines pistes inaugurées dans d’anciens jeux, pour une petite dose de fan service du meilleur goût à certains moments clés et durant les Daydreams qui poussent le vice jusqu’à quelques belles excentricités frôlant la fanfic, dans le bon sens du terme.
Cinquante nuances de petit budget
Bourré de contenu, doté d’un système en acier (froid) trempé, toujours aussi satisfaisant sur son écriture et osant tenter de nouvelles choses sur sa structure, Trails into Reverie est bien le point d’orgue que les fans espéraient. Mais au-delà de sa technique perfectible, le titre accuse quelques autres tares. Tout d’abord, traverser pour la cinquième fois des environnements connus peut apporter une certaine lassitude visuelle. Même si le discours évolutif des habitants fait encore illusion, on n’aurait pas craché sur quelques nouveaux bâtiments ou détails supplémentaires pour encore mieux incarner l’aspect vivant d’un univers aussi foisonnant. Bref, vivement Calvard, qu’on renouvelle les assets. Autre critique, si le rythme global de l’aventure s’avère plus soutenu, il se retrouve tout de même tiraillé entre l’envie de progresser et celle d’effeuiller le True Reverie Corridor. Dommage également que Falcom ait opéré un rétropédalage sur la liberté de mouvements. Le prix d’un Trails to Walk fonctionnel et sans dissonance narrative, sans doute. Autre problème de dilution narrative, à grand casting, grand nombre de personnages mis de côté. On sent un certain favoritisme envers les têtes d’affiche des épisodes récents, toutes ayant leur quart d’heure de gloire quand elles n’explosent pas littéralement. Pour la team Liberl, par contre… Meh. Mention “meh” également à certains mini-jeux du TRC, à la qualité très variable et au contenu parfois douteux. Enfin, ceux qui espéraient un retour en fanfare d’une version localisée en français peuvent prendre leurs rêves, en faire une jolie boule et les jeter dans un grand feu. Dommage pour un titre aussi verbeux, mais n’oublions pas la chance de pouvoir le pratiquer dans une version tout de même plus confortable que l’originale.
Conclusion
Difficile de se montrer à la hauteur quand on doit clôturer dignement pas loin de vingt années d’histoires, de liens, de complots, de trahisons, de larmes, de rires et, dans le cas présent, de scènes de bikini. Pourtant, avec Trails into Reverie, Nihon Falcom nous livre ce qui est sans doute son travail le plus abouti. Son rythme plus digeste qu’à l’accoutumée, sa narration resserrée toujours aussi riche, ses mécaniques huilées comme un bodybuilder et surtout sa générosité vertigineuse le placent directement au panthéon de la saga. Et que dire du True Reverie Corridor, si ce n’est qu’il est à la fois le terrain de jeu idéal et une véritable sucrerie de fan service ? Bien sûr, tout n’est pas parfait, à commencer par une technique toujours aussi perfectible, les tunnels narratifs à la pelle et un recyclage évident des environnements des précédents titres. Pourtant, malgré les victimes laissées pour compte, la faute à un casting gargantuesque ne laissant pas la place à tout le monde, on ne peut s’empêcher d’y voir une ode, un dernier baroud d’honneur, des personnages qui ont sévi pendant presque vingt ans. La boucle est bouclée, les dossiers de la SSS, de la classe VII et des Bracers de Liberl sont clos. L’heure est désormais venue pour Kuro no Kiseki, l’opus du recommencement Calvardien qui, on l’espère, fera souffler le vent du renouveau sur la franchise. L’attente sera certainement longue, aucune date n’ayant encore été annoncée. Qu’à celà ne tienne, le endgame de Trails into Reverie a largement de quoi nous occuper quelques belles heures. On y est venus, appâtés par l’odeur de l’acier froid. On y reste, aguichés par le doux parfum du platine.
Pour aller plus loin – Test de Trails into Reverie (Switch) par Actua
Et pour aller vers l’infini et au-delà – Test de Trails into Reverie (PS5) par Hyperion Seiken
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Trailer du jeu :