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Article réalisé à partir d’une clé Playstation 5 fournie par PLAION.

Si nous avons eu le plaisir de retrouver le Dragon de Dojima il y a quelques mois, Ichiban Kasuga, le nouveau poulain du Ryu Ga Gotoku Studio et protagoniste de Like a Dragon : Infinite Wealth, n’avait plus donné signe de vie depuis 2020. Après son entrée en scène fracassante dans un Yakuza 7 qui a osé dépoussiérer la franchise en posant de nouvelles bases aussi expérimentales et enthousiasmantes qu’imparfaites, le grand frisé avec deux chaussures noires est parvenu à fédérer anciens comme nouveaux venus, malgré un système de combats en tour par tour en total contrepied avec notre époque moderne. Un véritable tour de force qui lui a valu un peu de repos bien mérité. Pas question pour autant de se reposer sur ses lauriers pour le RGG Studio, qui entend bien mettre les retours des joueurs à contribution et prendre le temps de peaufiner sa copie. Fruit de trois années de labeur, Infinite Wealth, neuvième épisode numéroté, débarque aujourd’hui dans toutes les bonnes crèmeries et ambitionne de tourner la page, non sans émotion, du chapitre Kazuma Kiryu. Et bonne nouvelle pour les fans, ce nouvel épisode est annoncé comme le plus dodu de toute la franchise, déjà largement réputée pour sa générosité. Est-il réellement nécessaire de quitter son job pour en profiter convenablement ? Pas forcément, mais au vu de ses immenses qualités, difficile de dire qu’il ne donne pas une furieuse envie de partir en vacances à Hawaï.

Enfer et Paradis

Like a Dragon : Infinite Wealth se déroule trois ans après les événements de Yakuza : Like a Dragon. Trois longues années pour les anciens Yakuza, laissés orphelins depuis la Grande Dissolution. Pire encore, les lois mises en place par le gouvernement pour encadrer une réinsertion sociale d’aussi grande ampleur de marginaux peu en phase avec le vivre ensemble ne font qu’élargir encore le fossé. Dans ce marasme social, certains ex-criminels cherchent à arrondir les angles. Ichiban Kasuga est l’un d’entre eux, et est parvenu à se faire une place dans cette société qui rejette ses semblables. Héritier de la volonté de Masumi Arakawa, il gagne désormais sa vie en tant que conseiller du Pôle Emploi local, y voyant l’opportunité de poursuivre l’œuvre de son père de cœur en tendant la main à ces dizaines de milliers de laissés pour compte. Mais son paisible quotidien de citoyen lambda est brusquement mis à mal et Ichiban se retrouve à la case départ sans toucher vingt mille yens. De retour dans le monde-pas-trop-trop-merveilleux du chômage, il se voit alors contacté par d’anciens proches de son défunt patriarche. Akane, sa mère, serait toujours en vie quelque part à Hawaï. Il n’en faut pas plus à notre frisé pour se rendre sur l’archipel où il retrouve Kazuma Kiryu, lancé sur la même piste pour le compte de la faction Daidoji. Leurs intérêts convergent, le binôme décide alors de se serrer les coudes. Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que la femme qu’ils recherchent se trouve au coeur d’une machination qui va leur faire découvrir que sous ses apparences de paradis sur Terre, Hawaï cache un visage bien moins recommandable. Heureusement, le bottage de culs n’a pas de frontières.

Les sunlights des tropiques

Pour ceux qui souhaitent se lancer dans Like a Dragon : Infinite Wealth sans savoir de quoi il retourne exactement et qui ne fréquentent pas assidûment nos colonnes (on vous aime aussi mais on vous juge un peu), commençons par faire un rapide tour du propriétaire. Like a Dragon est, à l’origine, une franchise de jeux d’action / aventure mâtinée de RPG et de Beat Them All. Elle compte désormais neuf opus numérotés, ainsi qu’une tripotée de spin off. Après une mue survenue en 2020, la saga se découpe désormais en deux segments distincts. D’un côté, l’ère Beat Them All met en scène la vie de Kazuma Kiryu, yakuza taciturne au grand cœur, de ses débuts de jeune sous-fifre de la pègre en 1988 jusqu’à nos jours. De l’autre, l’ère moderne, avec le jovial Ichiban Kasuga, qui a repris le flambeau et imposé des combats en tour par tour sortis tout droit de son imaginaire de fanboy de Dragon Quest. Le contrepied est désormais officiellement entériné, mais ce n’est pas pour autant qu’Infinite Wealth poursuit le ravalement de façade en se débarrassant de tous les reliquats du passé. N’y allons pas par quatre chemins : oui, Kiryu est jouable et oui, il est considéré comme une figure centrale de l’aventure, au même niveau qu’Ichiban. Gros changement toutefois pour la franchise, qui ose pour la première fois s’exporter hors des frontières japonaises. L’aventure se trouve ainsi partagée entre le quartier de Isezaki Ijincho à Yokohama (Kamurochô n’est pas si loin…) et Honolulu. Un cadre flambant neuf, accessoirement le plus grand terrain de jeu jamais conçu par le RGG Studio, qui tombe à point nommé quand la Grande Dissolution met à mal l’activité criminelle japonaise. Et quand on parle de crime, le choix d’un territoire américain laisse entrevoir un potentiel certain.

Hello darkness my old friend

Like a Dragon oblige, Infinite Wealth est, comme ses prédécesseurs, un jeu à deux vitesses. D’un côté, une trame principale d’une noirceur abyssale qui se nourrit de l’actualité et de dérives sociétales. De l’autre, une quantité astronomique de contenu annexe bien plus léger, voire burlesque. La moindre quête secondaire peut surgir de n’importe quel coin de rue. En découle un rythme souvent mis à mal. Mais c’est à ce prix qu’on obtient un univers organique et immersif, ce qu’on a d’ailleurs constaté dans Gaiden avec une Akame qui rendait l’expérience particulièrement mécanique. Heureusement, retour à la normale pour ce huitième épisode, avec une narration plus “sage” et mesurée que les exubérances du septième volet. Les personnages qui rejoignent le groupe au fil de l’aventure s’avèrent bien mieux intégrés au flux narratif que dans Yakuza 7, chacun ayant des motivations crédibles. Côté thématiques, on saisit enfin les tenants et aboutissants de la Grande Dissolution qui ne restait que théorique et dont l’encadrement par le gouvernement japonais engendre d’énormes inégalités sociales et professionnelles. Pêle-mêle, le titre aborde également d’autres sujets, certains classiques et récurrents dans la franchise, comme la corruption des forces de l’ordre et de la caste politique, d’autres plus inédits comme la scientologie et les conséquences de l’exploitation de l’énergie nucléaire. À ces thèmes globaux déjà riches s’ajoutent ceux, plus intimistes, de la maladie, de l’acceptation de la mortalité et de la préparation au départ, d’autant plus délicats à aborder qu’ils concernent directement un personnage du groupe, et pas des moindres. On ne le dira jamais assez, réduire Like a Dragon à une simple usine à memes, c’est se fourrer le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate.

“Joueuse de tennis attaque Mafieux. C’est super efficace.”

Cet aspect peaufiné et mûrement réfléchi, on le retrouve également dans le système de jeu de Infinite Wealth. S’il reprend les bases établies dans le précédent opus, difficile de ne pas immédiatement remarquer un grand nombre de petits ajustements. C’est bien simple, le titre n’a plus rien d’expérimental, et on sent clairement que le RGG Studio a bien potassé les retours des joueurs. Le système qui peinait à tenir la distance il y a trois ans est parvenu à se débarrasser de ses erreurs de jeunesse en mettant l’accent sur le positionnement des personnages. Attaques de proximité, dans le dos et autres projections sont désormais des paramètres avec lesquels il faut compter, surtout quand on voit les dégâts ravageurs que peut engendrer un joli ricochet d’ennemi dans la tronche de ses copains. Ou des nôtres, ça fonctionne aussi. Infinite Wealth voit également l’apparition des attaques de saisie, capables de briser une garde gênante, de projection, utiles pour propulser même les ennemis les plus lourds, et des actions groupées. Simple, mais délicieux, rendant les passages à tabac plus vifs et intéressants que par le passé. Au registre des ajustements, on peut aussi noter une refonte du meilleur goût du système de classes. Désormais, le rang de classe n’a plus un impact aussi radical sur l’efficacité d’un personnage, favorisant le picorage et l’expérimentation le cœur léger. Finies, les sessions de grind absurdes pour monter à un niveau décent un personnage qui se lance dans un nouveau job. D’autant plus qu’avec le tout nouveau système d’héritage de compétences, il est possible de conserver les skills de son choix d’une carrière à l’autre. Une franche réussite, capable de tenir le pavé même après cent heures de jeu. On apprécie.

Richesse Infinie

Parce que oui, on parle de compteur à trois chiffres, mais on ne déconne pas le moins du monde. La communication de Infinite Wealth a elle-même beaucoup mis en avant son caractère massif et bourré de contenu. Et pour une fois, le marketing n’a pas beaucoup enjolivé la réalité, tant ce Yakuza 8 est littéralement rempli à ras bord d’à-côtés. Mieux encore, à l’instar de la nouvelle map hawaïenne, on retrouve très peu de recyclage des précédents opus. La fraîcheur est donc de mise, avec une profusion d’activités annexes pour la plupart excellentes et inédites. De l’ersatz de Crazy Taxi mais en vélo façon Über Eats au safari photo, mais avec des exhibitionnistes à la place d’animaux, en passant par Dondoko Island, sorte de Animal Crossing, mais avec une batte de baseball et des tas d’ordures, Hawaï est décidément un magnifique terrain de jeu qui incite à la digression. Les Sujimon signent également leur retour, mais avec un twist : il ne s’agit plus seulement de compléter son Sujidex, mais désormais de les entraîner et de les faire combattre pour devenir le meilleur dresseur de la Ligue Sujimon. Oui oui. Et bien sûr, la plupart de ces activités proposent même leur mini-scénario, souvent très drôle. Ajoutez à ces occupations de nombreuses autres, plus modestes mais tout aussi débiles, comme l’appli de rencontre ou Aloha Links (meilleure excuse de l’univers pour des promenades chill), les habituelles salles d’arcade / shogi / koi-koi / casinos, etc, et deux donjons générés procéduralement pour grappiller XP, équipement et argent de façon optimale, et vous obtenez le Like a Dragon le plus complet et copieux depuis Zero.

“T’as pris des épaules, non ?”

Une écriture mieux maîtrisée, des combats enfin exaltants, du contenu annexe en veux tu en voilà, … difficile de ne pas voir en Infinite Wealth une maîtrise et une prise de recul qui forcent le respect sur la formule initiée en 2020. Et le titre ne s’arrête pas là, en agrémentant l’aventure d’une tonne d’autres ajustements, plus subtils, mais qui transfigurent davantage l’expérience. Élément crucial pour quiconque s’était frotté à Yakuza 7 et son fameux chapitre 12 des enfers, la courbe de difficulté s’est largement assouplie, évitant l’effet “pic de difficulté infranchissable sans retourner farm des heures”. Une vraie bénédiction, tant les précédentes aventures d’Ichiban se sont montrées frustrantes sur ce point. Mieux encore, avant de se lancer dans un donjon ou autre scène de baston d’envergure de la trame principale, le jeu a le bon goût d’avertir le joueur, allant même jusqu’à conseiller un niveau minimal ainsi qu’un palier d’équipement recommandé. Idem pour les ennemis qui èrent dans le monde, dont la puissance est désormais clairement identifiée à l’aide de marqueurs de couleur. Au registre des améliorations de Qualité de Vie, on peut également citer les annihilations, permettant d’évacuer les combats de bas niveau automatiquement au prix d’un gain d’expérience et d’argent moindre, ou le nouveau fonctionnement du Fast Travel. Plus besoin de rallier un taxi pour se déplacer. Désormais, on ouvre sa carte, on clique, et c’est réglé. Et que dire de Ichiban, auparavant plus proche du héros de shônen un peu bébête et qui n’avait pas forcément convaincu tout le monde ? On le retrouve ici transfiguré, bien plus charismatique, sûr de lui et doté d’une vraie envergure. Son binôme avec Kiryu fonctionne du feu de Dieu, entérinant enfin sa légitimité au même niveau que le Dragon de Dôjima.

Pègre et Vaudeville 

S’il transcende la formule initiée en 2020, Like a Dragon : Infinite Wealth n’est pas exempt de défauts. Et puisque nous sommes des vieux râleurs aigris, nous allons nous faire une joie de les mentionner. Tout d’abord, caractéristique récurrente pour la franchise, le rythme de l’aventure est parfois erratique, la faute à la multiplicité de contenu annexe. Les complétistes incapables d’avancer dans la trame principale sans avoir nettoyé chaque marqueur de la carte se verront parfois bloqués des heures dans un même chapitre. Et ce n’est pas l’alternance des points de vue qui s’installe à partir d’un certain point qui arrange les choses. Côté narration, si la trame principale s’avère excellente, il faut bien avouer qu’on n’esquive pas toujours certaines grosses ficelles mettant à mal la suspension consentie de l’incrédulité. C’est bien connu, tous les hawaïens parlent un japonais courant parfaitement fluide, et de nombreux américains ont un accent anglais véritablement dégueulasse. Dans le même registre, on ne compte plus les retours à la vie improbables, les antagonistes “pas si méchants”, les alliés qui s’avèrent être des gros fourbes et les plot-twists n’ayant d’autre intérêt que brouiller les pistes. Le bon côté, c’est qu’Infinite Wealth ne se mélange les pinceaux que sur sa toute dernière ligne droite, quitte à évacuer certains pans de l’intrigue sans leur donner suite. Enfin, et c’est un point récurrent depuis quelque temps chez Sega, la localisation française du titre, bien que largement plus solide que celle de Like a Dragon Gaiden, comporte encore bon nombre d’erreurs. Une fois de plus, les traducteurs semblent ne pas avoir eu à leur disposition les infos et les outils qui leur permettrait d’accomplir leur tâche dans les meilleures conditions. Dommage pour un titre aussi verbeux.

Conclusion

On prend Yakuza : Like a Dragon, on corrige tous les défauts de jeunesse, on plante une intrigue menée tambour battant par le meilleur duo de protagonistes possible pour la franchise et dans un cadre aussi flambant neuf que dépaysant. Et paf, on obtient Like a Dragon : Infinite Wealth. Généreux, captivant, doté d’une excellente écriture (même si les ficelles sont parfois bien visibles) et, désormais, d’un système de combat enfin digne de ce nom et toujours engageant après des dizaines d’heures, Infinite Wealth est une franche réussite, capable de scotcher aussi bien les fans que les nouveaux venus à leur manette. Bien sûr, tout n’est pas parfait, et on peste ponctuellement sur quelques collisions éclatées, un rythme en dents de scie et quelques errances narratives sur l’ultime ligne droite finale. Mais dans sa globalité, ces quelques grains de sable blanc ne suffisent pas à gripper un océan (pacifique) de qualités. Sans avoir peur des mots, Infinite Wealth est un véritable chef-d’œuvre, à mettre au même rang d’excellence qu’un Yakuza 0 en son temps. Yakuza 7 était un RPG sympathique, Like a Dragon : Infinite Wealth a tous les arguments pour prétendre au statut de monument du JRPG, du genre à marquer les esprits durablement. Une véritable pierre angulaire majeure dans le catalogue de Sega, à côté de laquelle les amateurs auraient bien tort de passer.

 

Pour aller plus loin – Test de Like a Dragon : Infinite Wealth par Actua

 

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Trailer du jeu :